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Non, parole d’honneur, j’nai jamais vu un aussi chouette parapluie ! Mais regardez donc ! Admirez donc ! Etc… »

Il avait emboîté le pas au substitut et lui serinait cette ritournelle tout le long des rues, conviant les passants à s’arrêter, à faire chorus avec lui. À deux ou trois reprises, M. Hennocque se retourna et invita Césarin à le laisser tranquille.

« J’vous parle pas, moi, m’sieu ! C’est à moi que j’cause. Oh ! l’beau parapluie !!! L’beau parapluie !!! »

Une autre fois que le même magistrat sortait de chez le chapelier Jolion, avec un couvre-chef tout battant neuf, c’était la gamme inverse :

« Un vilain chapeau que vous avez là, m’sieu Hennocque, un bien vilain chapeau ! Ça n’vous durera pas longtemps, allez ! D’ailleurs, pour avoir du beau et du bon, faut y mettre le prix, et tout le monde sait que vous êtes trop regardant, vous, trop liardeur. Bien sûr que ça n’vous a pas coûté cher, ce casque-là !

« Vous n’avez pas dû l’payer plus de trente-cinq sous… Et encore !… Hein, j’ai deviné ?… Trente-cinq sous au plus ? Ça explique pourquoi on vous flanque de la camelote. Pardi ! c’est clair ! Oh ! il n’est vraiment pas chic, votre chapeau ! Regardez donc l’affreux chapeau qu’a m’sieu Hennocque ! N’est-ce pas qu’ça n’lui va pas, qu’ça lui fait une sale tête ? Hein ? J’nen voudrais pas, moi ! Césarin lui-même ne voudrait pas être coiffé comme ça ! Il aurait honte !!… »

Sans s’émouvoir des injonctions et menaces du malheureux substitut, Césarin continuait son boniment et ne lâchait pas son homme. Il appelait ça lui faire un pas de conduite.

Le cynique garnement ne craignait pas, comme on le voit, de s’attaquer aux puissants de la terre ; — c’était même à eux qu’il s’en prenait le plus volontiers, et le préfet Boriquet figure aussi sur la liste de ses victimes.

Chaque fois que Césarin, en compagnie de quelque malandrin de son espèce, venait à rencontrer ce fonctionnaire, il ne manquait jamais, en passant, de crier à son acolyte :

« Tais-toi donc, tiens ! T’es encore pus bête que l’préfet ! ».

Si probe et scrupuleux qu’il fût, Césarin s’arrangeait chaque année pour faire trois ou quatre mois de prison. Les vendanges terminées, le vin rentré, vers la fin d’octobre ou la mi-novembre, on entendait le pauvre hère grommeler, tout en se traînant le long des boutiques : « Vlà le froid qu’arrive ! Césarin, mon ami, faut aller à ta maison d’campagne ! Il est temps, mon vieux !… Faut faire des économie de bois et de chandelle, vois-tu !… »

Cette maison de campagne, toute différente de celle des citadins cossus, bonne à habiter seulement pendant l’hiver, était un vaste bâtiment aux fenêtres grillées et entouré de hautes et épaisses murailles, situé au sommet de la ville, à l’extrémité de la place Saint-Pierre.

Et, quelques jours plus tard, inculpé soit de tapage injurieux ou nocturne, soit d’ivresse publique, soit d’outrages envers l’empereur ou la République ou les représentants et dépositaires de l’autorité, et condamné en conséquence, mon Césarin, flanqué de deux gendarmes et escorté d’une troupe de gamins qui l’acclamaient, gravissait tout guilleret la côte Gilles-de-Trèves et la susdite place, et s’engouffrait derrière la lourde porte à guichet de sa « maison de campagne ».

Il y était, du reste, parfaitement traité, et on avait pour lui tous les égards dus à sa haute renommée. M. Richard, le gardien-chef, l’employait invariablement comme aide-marmiton : c’était lui qui épluchait les légumes, récurait et astiquait les casseroles, lavait ou balayait les dalles de la cuisine et des corridors adjacents, etc. Il était là bien au chaud, bien nourri, bien tranquille, et avait encore la ressource d’agripper presque à chaque repas quelques fonds de bouteille, qui lui permettaient de ne pas oublier tout à fait le goût du vin.

Là encore sa réputation de probité l’avait suivi et servi, et ce n’est qu’après avoir mis son prisonnier à l’épreuve que M. Richard lui avait octroyé sa confiance.

Un jour, en balayant un escalier, Césarin découvrit une pièce de vingt sous, posée là tout exprès, comme le rusé personnage ne manqua pas d’en faire en lui-même la remarque, tout exprès pour tenter sa convoitise. Il ramassa la pièce, et quand le gardien-chef vint à passer, la lui présenta :

« Voici c’que j’ai trouvé au bas des marches, m’sieu Richard. J’vous la rends pour cette fois, ajouta-t-il en clignant de l’œil, mais faudrait pas recommencer !

Voir juger Césarin était un spectacle des plus curieux, la plus désopilante comédie qu’on pût rêver. Le drôle avait la langue fort bien pendue, ainsi qu’on a déjà dû s’en apercevoir, et donnait admirablement la réplique au président.

Je me souviens d’avoir assisté à l’une de ces représentations. J’étais externe au lycée et j’avais pour condisciples deux fils d’avoués, Ferdinand Bonne et Paul S…, qui ne manquaient pas de nous avertir lorsqu’une affaire Césarin était inscrite au rôle. Un matin, en sortant de classe, je me laissai guider par mon ami Bonne et nous pénétrâmes dans la salle du tribunal. À force de jouer des coudes, nous réussîmes à fendre la foule et à nous hisser sur l’un des bancs de chêne adossés aux murs. L’affaire appelée, voici, aussi fidèlement que ma mémoire me le permet, le dialogue qui s’engagea entre le débonnaire président du tribunal, l’excellent M. d’Hervincourt, et l’illustre Césarin :

« Comment, Césarin ! c’est encore vous ?

— Encore ! Oh ! m’sieu d’Hervincourt, c’est un mot de reproche ! Je ne me plains pas de vous voir, moi, je vous assure…

— Eh bien ! nous nous en plaignons, nous, Césarin, nous nous en fatiguons ! C’est honteux ! Voilà la trente et unième fois que vous comparaissez devant la justice !

— Trente et un hivers passés au chaud ! Tant qu’ça !… Je ne croyais pas…

— Votre première condamnation remonte à 1835… Tapage et injures, déjà !


LE CHIEN TONDU EN LION

Nous ne sommes plus au temps des chevaliers de la désœuvrance ; Romieu, Henri Monnier, ces grands mystificateurs, sont morts, le célèbre corniste Vivier est passé à l’état de souvenir, la charge d’atelier a disparu avec le rapin, et les derniers représentants de la farce seraient les fumistes si l’on devait en croire la réputation qu’on leur a faite ; pourquoi ? Tous les gens qui font ramoner leurs poêles et leurs cheminées vous diront qu’ils n’en savent absolument rien, n’ayant qu’à se louer du zèle et de la politesse de ces modestes artisans.

Donc, à moins d’un travail sérieux traitant de l’influence de la suie sur la gaieté française, il faut faire des réserves sur le goût attribué aux fumistes.

S’ensuit-il que ce goût a disparu avec ceux qui en ont poussé si loin la manifestation ? Ce serait bien peu connaître « le Français né malin », comme a dit le poète, que de s’arrêter à cette supposition. Il est, au contraire, si bien acquis que nos compatriotes sont farceurs, qu’ils peuvent être pris pour tels, même en cas de simple malentendu. Est-ce le cas de M. Boulabert, amené devant le commissaire de police par un tondeur de chiens qui lui réclame 2 francs, prix de la tonte en lion d’un caniche, plus 3 francs d’indemnité, pour le temps que ce monsieur lui fait perdre ?

C’est ce que les explications des parties vont nous apprendre.

Pillard (c’est le nom du tondeur de chiens) raconte ainsi le fait :

— Voilà. Je rendais à ma femme un chat que ses maîtres m’avaient dit qu’il avait du vice et que je disais à ma femme : « Tu peux leur garantir qu’il sera sage comme