Page:Le Vavasseur - Juvenilia, Lemerre, 1888.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée


Ma chère sœur aînée, ô mon grave cénseur,
Près du foyer désert votre petite sœur
Est bien seule ce soir ; elle fait quarantaine
Pendant que vous allez courir la prétentaine,
C’est triste et dans son rêve à la fois vague et doux
Elle bat les chemins inconnus avec vous.
Blottie au coin du feu français, votre compagne
Bâtit pour nous loger des châteaux en Espagne ;
La plante de ses pieds doucement s’attendrit
Et croit se réchauffer au soleil de Madrid.

Dans son cadre doré notre vache normande
Quitte son air bonasse et sa pose gourmande,
Sa corne se redresse et sous un soleil d’or
Il me semble la voir charger un picador ;
Le pâturage vert prend un ton gris et fauve,
Le pâtre se transforme en chulo qui se sauve
Et sur le toit de chaume où sont les deux couvreurs,
Je crois voir des gradins bondés de spectateurs.

Sans doute vous prenez là-bas votre revanche,
Vous voyez pousser l’herbe aux cailloux de la Manche ;
En face de Goya vous pensez à Corot
Et quand le picador fait la guerre au taureau,
Vous songez à la paix de nos vaches normandes