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Le Mé-Nam, mérite bien le beau nom qu’il porte (mère des eaux) : c’est le plus grand fleuve du Siam. Il prend sa source dans les montagnes du Yun-Nan, passe à Xieng-Maiï, province gouvernée par un vrce-roi, traverse Raheng, Pak-Nam-Phô, où 1] reçoit le Mé-Ping, gros affluent venant du nord qui arrose Uttharadit, Phitsanulôk ; un peu plus bas, le Mé-Nam se divise en plusieurs branches qui viennent se réunir au-dessus de Bangkok, il traverse cette ville et, après un cours de 300 lieues environ, va se jeter à la mer au fond du golfe de Siam ; 1l est navigable en toute saison jusqu’à Ayutha, ancienne capitale du royaume, mais, au-dessus, de nombreux bancs de sable, émergeant pendant la saison sèche, rendent la navigation impossible.

L’année se divise dans l’Indo-Chine en deux saisons principales dites « saison sèche » et « saison des pluies ».

La première, na-leng, se subdivise en na-nao et na-ron, c’est-à-dire saison froide et saison chaude. Pendant la saison dite froide (décembre, janvier, février, mars) le thermomètre descend la nuit à + 190, + 70 dans le Laos, et, dans le jour, vers une heure ou deux de l’après-midi, il remonte jusqu’à -+ 29° ou + 30°. Les indigènes, peu habitués au froid, grelottent, claquent leurs dents laquées par le bétel, se couvrent de loques, de haïllons et se serrent frileusement autour de grands feux. Quant à la saison chaude, elle est pour les Européens vraiment insupportable en avril, mai et souvent en juin : à peine si, la nuit, le thermomètre varie de un ou deux degrés et l’après-midi il atteint la température accablante de + 41°, + 439 à l’ombre ! La saison des pluies, na-phon, commence quelquefois à la fin de mai, pour durer jusqu’au milieu de novembre, et a le grand avantage de tempérer quelque peu la chaleur. Avec la fin de cette saison vient le temps des plaisirs, des réjouissances, des fêtes religieuses, civiles et populaires ; c’est l’instant que nous conseillerions volontiers comme étant le plus favorable pour visiter le Siam d’une façon intéressante. Les pluies abondantes qui caractérisent celte saison, récoltées par la vaste cuvette que forment les montagnes du nord, de l’ouest et de l’est, s’écoulent rapidement vers le sud au milieu de cette large et longue vallée du Mé-Nam, inondant chaque année les vastes plaines alluvionnaires qui, depuis Ayuthia jusqu’à l’embouchure, forment les rives du fleuve et fertilisent tout sur leur passage. Ce grand cours d’eau, seule et unique voie de pénétration, suffit à tout le trafic du pays, les communications terriennes, très rudimentaires quand on en rencontre, n’existant même pas dans le nord. |

Le Mé-Nam.

Bangkok ne se trouvant pas sur la ligne que suivent les grands courriers de la Chine et du Japon, exige, pour s’y rendre, un transbordement à Singapore. Là de nombreux vapeurs, affrétés par des compagnies anglaises où des Chinois, font le service de Bangkok,

LE TOUR DU MONDE.

effectuant Îe trajet en quatre, cinq ou six jours suivant le temps et la vitesse du navire !.

Ces vapeurs, commandés par des capitaines au long cours anglais, ont un équipage de Malais, véritables singes qui escaladent avec une agilité surprenante les haubans et les galhaubans, serrés dans leurs doigts de pieds. Les cuisiniers, les boys sont Chinois et tous sans exceplion parlent l’anglais.

Cette dernière circonstance rend la navigation dans le golfe de Siam singulièrement monotone et triste pour le voyageur qui ne possède pas cette langue ; condamné à un mutisme forcé, nul ne cherche à lui venir en aide dans ses vains efforts pour se faire comprendre ; pour se distraire de cette sorte de quarantaine il n’a que les études de mœurs plus ou moins palpitantes auxquelles il peut se. livrer sur ses compagnons de voyage, ou la vue de limmuable ligne qui coupe au loin l’horizon.

Aussi est-ce pour lui un sentiment de joie bien profonde

et intime que de voir se lever dans le violet du lointain les montagnes de l’ancien Cambodge, puis les groupes

‘îles : Koh-Kwang-Noi, Koh-Luem, Koh-Kram et Koh-Ryn, qui annoncent la proximité du continent.

Ce dernier, vu du large, offre au spectateur l’aspect d’un véritable mirage : ce sont des lignes de verdure et des bouquets d’arbres en suspension dans l’atmosphère tremblotante et surchauffée des pays tropicaux.

La mer, jusque-là d’un bleu intense, est passée au verdâtre, puis a pris tout à coup un ton jaune el boueux : c’est le fond du golfe. |

Le Mé-Nam est obsirué à son embouchure par un vaste banc de sable qui barre :le passage aux navires d’un fort tonnage ; il faut donc attendre quelquefois à l’embouchure du fleuve pour franchir cet obstacle que l’on nomme la barre.

Les Siamois la considérèrent longtemps comme un rempart naturel contre les invasions étrangères ?, mais les derniers événements et surtout la glorieuse affaire de Pak-Nam où, comme on suit, l’escadre française franchit la barre sous le feu meurtrier des navires et des forts siamoiïs, ont dû leur enlever une partie de leurs illusions.

On profite du flux pour franchir la barre dont, à marée basse, la masse moitié vaseuse, moilié sablonneuse, montre à perle de vue une forêt de bambous fichés dans le sol, où les pêcheurs siamois et annamites

1. Le prix du passage à bord des vapeurs anglais est de 40 piastres, ou de 30 pour l’aller et le retour. La piastre vaut, selon le cours, de 4 fr. 50 à 3 fr, 60,

2 Pendant le mois d’avril, premier mois de la ña-ron (saison chaude), la mer attcint son niveau minimum de hauteur, et les dernières observations failes sur les marées à cette époque ont donné 90 centimètres de fond sur la barre à marée basse et 3 m. 80 à marée haute.

Au commencement d’octobre, c’est-à-dire vers la fin de fa saison des pluies, la rivière est beaucoup plus haute, les bords sont submergés, le pays est mondé. Il y à alors sur la barre une hauteur de 1 m. 05 aux marées basses des syzygics, de 4 mèlres à marée haute.

Pendant les grandes marées et aux environs, il n’y a qu’un flux en vingt-quatre heures, deux à l’époque des quartiers. Ces irrégularités sont encore augmentécs par les changements de vent dans le golfe de Siam.