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restai avec le prince Galitzi pendant deux stations. C’est un des hommes les plus aimables que je connaisse.

À Yékatérinbourg le prince doit rester vingt-quatre heures, nous le voyons quitter la gare, puis, pendant que nous déjeunons, un bijoutier vient de sa part nous montrer des alexandrites, cette curieuse pierre précieuse qui est verte pendant le jour, ressemblant à une émeraude, et rouge la nuit, comme un rubis. Le prince sait que je veux emporter ce souvenir de notre passage dans les monts Oural et nous adresse un bijoutier de confiance avec quelques mots sur une de ses cartes. J’eus à Saint-Pétersbourg occasion de le remercier et de lui montrer la jolie alexandrite achetée par son entremise.

Que dire du reste du voyage ? Nous sommes maintenant dans des pays trop connus et trop souvent décrits pour que j’y insiste beaucoup.

À Perm nous montons sur un excellent steamer qui en trois jours nous amène à Nijnii-Novgorod : excellente cuisine, lumière électrique dans les cabines, mais toujours pas de draps ni même de lit.

À Kazan, nous stoppons devant le lazaret ; il est 9 heures du matin, et tout le monde est sur le pont. Un infirmier et une infirmière viennent à bord et aident un passager atteint du choléra à descendre. À peine arrivé à terre, nous voyons ce malheureux s’affaisser. On est obligé de le transporter à l’hôpital. Cette lugubre scène nous impressionne péniblement tous, et terrifie plusieurs passagers.

À Nijnii-Novgorod, beaucoup de monde dans les rues. On nous dit cependant que la foire est bien moins animée que les autres années, à cause de l’épidémie. Nous faisons quelques achats dans le grand pavillon central, qui ressemble, en petit, à notre palais de l’Industrie, valises en cuir de Russie, châles d’Orenbourg, ces merveilles de patience et de travail. Un de ceux achetés par nous mesure 11 mètres de superficie. Il est carré, et en le prenant par un angle, il passe, tout entier, sans difficulté aucune, dans la bague de Marie qui a 1 centimètre de diamètre.

Le caviar à Nijnii est exquis.

Malgré le vent violent qui souffle, nous allons visiter la ville en voiture découverte. Elle est des plus pittoresques. D’un côté de la rivière, les vieux quartiers, le Kremlin, les anciennes églises, en amphithéâtre sur le flanc de la colline, du sommet de laquelle la vue est superbe. Elle embrasse de l’autre côté de la rivière toute la plaine, sur laquelle se trouve la nouvelle ville avec la foire et ses magasins : au loin, la Volga serpente à perte de vue.

Le lendemain, à Moscou, nous disons adieu aux Regamey, qui vont directement à Vilna. Il y a près d’un mois que nous vivons ensemble, ce sont des amis que nous quittons.

5 septembre. — Enfin, après être restés quatre jours à Moscou, quatre à Saint-Pétersbourg, et un à Vienne, nous rentrons en France par le Tirol. Malgré le choléra qui nous suit et nous cause des tracas sans nombre à toutes les frontières, nous jouissons d’une parfaite santé.

Nous traversons l’ancien continent dans toute sa largeur. Nous rapportons de notre voyage 150 clichés 18 × 24 qui, grâce à l’excellence des appareils choisis par M. Paul Nadar lui-même, m’ont donné des résultats fort satisfaisants. Et s’il y a eu parfois des moments pénibles pendant notre longue pérégrination, nous nous les rappelons avec plaisir maintenant, car ce sont autant de souvenirs pour le reste de notre vie.

Il y a cent douze jours que nous avons quitté Pékin.


Charles Vapereau.


ÉGLISE DE VILLAGE[1].
  1. Gravure de Bazin, d’après une photographie.