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ces travaux pendant la saison froide ? Car s’ils ne sont pas la cause de la terrible épidémie qui sévit dans le pays, ils ne peuvent que contribuer à l’entretenir.

À la coupée du Kosakovski on a placé un agent de police qui empêche de monter à bord tous ceux qui ne sont pas reconnus comme faisant partie de l’équipage ou des passagers. C’est probablement pour prévenir les tentatives d’évasion.

ÉGLISE à NIJNI-NOVGOROD[1] (PAGE 240).

Nous voyons bientôt arriver nos magistrats : ils ont la mine soucieuse. Toul le monde est affolé dans la ville. Chacun pense à soi et se calfeutre dans sa maison. On leur à bien préparé des logements à terre, mais ils ne peuvent trouver à s’y nourrir, même à peu près convenablement. Pas la moindre bouteille de vin à acheter ! Il est deux heures et ils n’ont pas déjeuné. Ils veulent faire encore un bon repas et sont revenus pour cela sur le Kosakovski, dont le maître d’hôtel leur prépare un panier de provisions. Ils se rendent parfaitement compte du danger qu’ils courent en restant à Tobolsk, mais, obligés de donner le bon exemple, ils sauvent les apparences et font tous assez bonne figure, à exception d’un seul qui paraît anéanti et refuse de prendre part an déjeuner. Il se promène mélancoliquement sur le pont. À ce moment une barque quitte la rive un peu au-dessus de nous, et se dirige vers le lazaret, de l’autre côté de l’Irtich. Elle est couverte et sur ses côtés nous voyons une grande croix rouge. À l’arrière, flotte un drapeau sur lequel sont peintes une pelle et une pioche. Il n’y a pas besoin de faire un grand effort d’imagination pour découvrir la signification de ces emblèmes et l’usage de cette barque. Notre ami ne peut supporter cette vue, et descend dans le salon. Nous le plaignons, ce pauvre homme, car on prétend que, dans ces sortes d’épidémies, la terreur aide beaucoup à la contagion.

L’heure du départ est arrivée : la police est à son poste, examinant d’un œil scrutateur tous ceux qui montent à bord. Deux de nos Cosaques sont absolument ivres. L’un d’eux échappe aux regards des officiers : il s’est caché la tête dans sa houppelande et fait semblant de dormir. L’autre, moins heureux, est renvoyé à terre cuver son vin. On lui passe ses hardes. Il regarde faire l’appareillage sans souffler mot, mais au moment où nous démarrons, certain d’être à l’abri des représailles, il vomit un torrent d’injures contre les officiers.


XXIV

De Tobolsk à Paris.


Cependant le ciel s’est couvert de nuages, et un orage se prépare au-dessus du Kremlin. La ville se déroule sous nos yeux dans une sorte de cirque ; ses nombreuses églises, blanches pour la plupart, se détachent sur le fond sombre de la colline qui entoure Tobolsk. Le panorama est splendide. Nous remontons l’Ilrich, puis presque immédiatement nous pénétrons dans la rivière Tobol, qui a donné son nom à la ville.

17 août. — Les eaux sont très basses. Il n’y a plus de doute à avoir : notre bateau cale trop pour pouvoir aller jusqu’à Tiumen. Dès l’aube, nous faisons nos préparatifs, non seulement pour quitter le Kosakovski, mais pour rouler encore sur les grands chemins, pendant au moins deux jours, dans un pays décimé par la maladie.

En nous embarquant à Tomsk, nous pensions être au terme de nos misères, n’avoir plus qu’à sauter des bateaux dans les chemins de fer jusqu’à Paris, et voilà qu’on va nous déposer à Yévliévo, c’est-à-dire à 128 verstes de la gare ! Notre désappointement est grand. Main-

  1. Dessin de Berteault, d’après une photographie.