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la cathédrale, des casernes, la prison, etc., dominant la ville de près de 80 mètres.

NIJNI-NOVGOROD[1] (PAGE 240).

Sur le ponton auquel nous devons nous amarrer est le chef de la police, flanqué de ses agents : il nous intime l’ordre de rester à 10 mètres, et d’attendre la visite du médecin. On veut savoir si nous n’avons pas à bord de cholériques, pour les diriger sur le lazaret. Cette cérémonie dure plus d’une heure. Suivi du chef de la police, le docteur fait le tour du bateau. Hommes d’équipage, passagers placés en rang doivent lui montrer leur langue et se laisser tâter la main, la gorge et le front. Toutes ces formalités impressionnent vivement nombre de personnes. Le pouls d’un de nos magistrats bat 106 pulsations. Les autres sont plus calmes, mais au fond la perspective de rester une huitaine de jours à Tobolsk n’a rien qui les enchante, d’autant mieux qu’on vient de leur crier du rivage qu’un de leurs amis, le procureur de la ville, est mort dans la matinée.

Enfin, nous sommes libres et nous pouvons descendre à terre. Nos compagnons de voyage nous quittent et nous sommes désolés de les voir partir, car, depuis huit jours que nous vivons avec eux, ils n’ont jamais cessé de nous montrer la plus grande amabilité. L’heure du déjeuner étant arrivée, nous nous mettons à table, Marie et moi, pour ne pas descendre à terre à jeun.

La fondation de Tobolsk date de 1586, c’est-à-dire quatre années seulement après la réunion à la Russie de la Sibérie, dont ce fut longtemps la capitale. La ville a beaucoup perdu de son importance depuis qu’elle ne se trouve plus sur la grande route des caravanes. Marchandises et voyageurs à destination de Tomsk, Irkoutsk, la Transbaïkalie, et thés de Chine passent à plus de 200 verstes au sud, allant directement de Tiumen à Omsk. Il ne reste plus à Tobolsk que le commerce des fourrures, que fournissent les forêts du nord, et du poisson, extraordinairement abondant dans l’Irtich. C’est aussi toujours le point où se centralise la déportation.

Un Français, l’abbé Chappe d’Auteroche, fit à Tobolsk un assez long séjour, au siècle dernier. Il y avait été envoyé par l’Académie des sciences pour observer le passage de Vénus sur le Soleil, le 6 juin 1671. Le récit de son voyage et de son séjour dans cette partie de la Sibérie, publié sept années plus tard, fit beaucoup de bruit en Russie.

Nous visitons Tobolsk dans de fâcheuses circonstances. Nous ne voyons d’animation qu’autour du débarcadère, où de nombreux petits marchands ont étalé des provisions pour les passagers du Kosakovski ; la crainte de la contagion empêche beaucoup de gens de faire des achats.

La seule chose qui distingue Tobolsk de toutes les villes que nous avons vues en Sibérie, c’est le dallage ou plutôt le parquetage des rues. Perpendiculairement aux trottoirs on a placé, tous les 4 mètres environ, de grosses traverses où lambourdes sur lesquelles on à cloué, côte à côte, parallèlement à l’axe de la voie, des troncs d’arbres sciés en deux, ce qui, à l’origine, devait constituer une chaussée idéale, mais ce qui manque, je crois, de solidité et de durée. Ces chaussées sont dans un état abominable, et il faut toute l’habileté des yemchtchiks pour faire éviter aux pieds des chevaux et aux roues des voilures les trous béants dont elles sont émaillées. Sur plusieurs points de la ville on est en train de remplacer les lames pourries de ce parquet. Il faut avoir habité Pékin pour se faire une idée des cloaques que l’on met à découvert et des miasmes fétides qu’ils dégagent. N’eût-il pas été préférable d’exécuter

  1. Dessin de Berteault, d’après une photographie.