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11 juillet. — Dans le milieu de la vallée, près de deux cents hommes et femmes, armés de pelles et de pioches, sont occupés à charger une cinquantaine de tombereaux avec tout ce qui compose le sol, terre, sable, pierres, depuis la surface jusqu’à une profondeur qui ici dépasse rarement deux mètres. Cette profondeur, de même que la largeur du terrain à enlever, est indiquée par des laveurs au plat qui accompagnent les travailleurs. Voici en quoi consiste leur occupation : ils prennent dans la partie à essayer une pelletée de terre qu’ils mettent dans un grand plat creux en bois, au bord du ruisseau qui traverse l’exploitation. Avec une sorte de griffe en fer, ils délayent cette terre en plongeant une partie du plat dans l’eau courante. Il se forme d’abord une bouillie qui peu à peu s’éclaircit, la terre étant emportée par le courant. Il ne reste plus au fond du plat que les matières lourdes, c’est-à-dire les cailloux et l’or. Le précieux métal, ayant une densité beaucoup plus grande que la pierre, se trouve au-dessous. Il suffit alors d’incliner le plat en l’agitant légèrement pour en faire tomber les cailloux. Bientôt il ne reste plus que les pépites, dont le nombre indique la richesse du terrain que l’on veut essayer.

Le principe du lavage au plat, basé sur la densité de l’or, est appliqué au lavage en grand. Il est tout d’abord nécessaire d’avoir une chute d’eau d’au moins six mètres, et, pour l’obtenir, on est généralement obligé de détourner le cours d’un ruisseau que l’on amène par un aqueduc en bois, long quelquefois d’un ou deux kilomètres, jusqu’au point où l’on veut établir cette chute, en plan incliné d’une vingtaine de mètres de longueur. Ce plan incliné est muni d’un bout à l’autre d’un plancher en fer parfaitement uni, sur lequel viennent s’appliquer des grilles en fer à raies carrées, destinées à arrêter les pépites et les cailloux. Au-dessus est une plaque en tôle percée d’innombrables gros trous permettant aux pépites de passer, mais faisant glisser les gros cailloux dans les tombereaux placés en bas, qui les emportent au loin.

D’autres tombereaux apportent la terre aurifère au sommet du plan incliné. Cette terre est emportée par les eaux, et l’or est retenu danses grilles dans lesquelles son poids l’a entraîné. Un simple lavage à la main deux fois par jour permet de le séparer des sables qui l’ont accompagné. Un Cosaque représentant l’autorité est toujours présent à l’opération. L’or est immédiatement desséché au feu sous ses yeux et il en insert scrupuleusement le poids.

La mine Andrewski doit en recueillir au moins 700 grammes par jour pour couvrir tous ses frais, qui sont considérables. M. Kaplounof eut l’amabilité d’offrir à Marie quelques pépites récoltées sous nos yeux, en souvenir de notre visite.

L’établissement d’une mine est entouré de formalités sans nombre et ne se fait pas sans une première mise de fonds qui ne laisse pas d’être relativement considérable.

Le premier venu ne peut errer dans les montagnes à la recherche de placers. Il faut, tout d’abord, obtenir du gouverneur général de la province une autorisation spéciale pour soi-même et pour les ouvriers que l’on emploie, dont on est responsable et dont il faut présenter les papiers aux autorités ; on doit désigner les districts que l’on a l’intention d’explorer, afin d’être toujours sous la surveillance de la police.

Si l’on a le bonheur de découvrir un terrain riche en or, il faut demander l’autorisation de l’exploiter, en dresser un plan détaillé, avec indications précises de l’endroit où il se trouve, faire des fouilles dont le nombre est fixé par la loi, en donner les résultats, planter des poteaux pour marquer les limites de la mine, remettre tous les documents au bureau de police le plus voisin et attendre.

Ce n’est qu’au bout de deux ou trois ans que l’on est déclaré propriétaire du placer. Un géomètre du gouvernement vient en dresser le plan, puis fait son rapport au bureau des Mines, qui, au bout d’un certain temps, délivre un plan exact et officiel des terrains que l’on a le droit d’exploiter. Il reste alors à établir l’aqueduc, le plan incliné de lavages, à acheter les chevaux, les voitures, etc.

Le gouvernement prélève sur la production un droit qui va de 5 à 10 pour 100. Toute pépite doit être pesée et inscrite sur un livre de contrôle. La moindre infraction peut être punie d’une forte amende et même de deux ou trois ans de prison. La totalité de l’or extrait doit être envoyée à la fonderie impériale à Irkoutsk, mais ce n’est qu’au bout de six mois qu’on le rend, monnayé, en pièces de cinq roubles.

La prise Andrewski paraît prospère, si l’on en juge par le nombre des travailleurs et par l’aspect du village qui entoure la maison de M. Kaplounof. Je remarque beaucoup de cultures maraîchères.

Cependant il faut songer au départ. J’offre à nos hôtes une boîte d’un thé parfumé qu’ils ont paru trouver exquis. Ils ne veulent l’accepter que si je consens moi-même à emporter un peu d’excellent tabac qui vient de Moscou. L’échange se fait, et prenant enfin congé de ces aimables gens, nous partons, sous la conduite de leur fils qui nous accompagne à cheval.

La forêt commence à la sortie du village et c’est à peine si un chemin y est tracé. Mais nos conducteurs se reconnaissent très bien au milieu des arbres, car c’est par ici qu’ils vont trois ou quatre fois par mois à la station de poste porter leur or. Les chevaux sont bons et nous marchons vite. Tout à coup Hane se rappelle qu’il a oublié de graisser les essieux. C’est une grave faute et nous sommes obligés de nous arrêter pour le faire. N’ayant aucun levier pour soulever le tarantass pendant l’opération, nous ne retirons les roues qu’à moitié. C’est un graissage insuffisant, mais espérons que nous arriverons au relais prochain sans que nos roues prennent feu.

La forêt est superbe, les arbres beaux et vigoureux. La moindre clairière est un parterre de fleurs. Nous