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fête des saints Pierre et Paul et l’on ne travaille pas. Notre hôte nous montre des échantillons d’or et m’offre un morceau de granit contenant des pépites, cette rareté du musée de Nertchinsk. Sa maison est petite, mais très propre. M. Bujwid est un homme jeune, instruit, à la figure énergique et distinguée. Grand chasseur, il possède des chiens de race et des armes de prix, nécessaires également pour sa défense contre les bandits dont le pays pullule. À 3 heures cet demie, nous prenons congé de lui, conduits par un yemchtchik superbe, dans sa livrée de drap noir, grand, carré d’épaules, barbu, tout le physique de l’emploi.

Les chemins sont abominables, étroits, pierreux, remplis d’ornières. Notre cocher n’en a cure. Nous cherchons à modérer son allure, il l’accélère. Marie lui dit d’aller doucement, il lui répond : « Ici, il faut aller vite ». Un peut pont se présente, jeté sur un fossé heureusement peu profond, nous le passons au galop, deux roues sur le pont, deux roues dans le fossé ; la vitesse nous empêche de verser. Plus de doute, notre automédon se nomme ou Pierre ou Paul et a trop fêté son saint. Il commence en effet à s’agiter sur son siège en se balançant le corps, et se retournant continuellement pour voir si la seconde voiture nous suit. Car dans ces pays sauvages il est prudent de marcher de conserve, Bientôt il accroche un arbre ; je lui dis d’arrêter, il presse le pas, passe sur une énorme pierre qu’il ne voulait pas se donner la peine d’éviter, et patatras ! notre voilure verse et nous nous trouvons ensevelis sous nos bagages, qui heureusement sont mous. Me relever et administrer une correction à notre automédon fut J’affaire d’un instant. Pendant la correction il montrait le poing à la pierre en lui adressant toutes les injures que le vocabulaire russe pouvait lui fournir, tout en faisant signes de croix sur signes de croix. Il nous fallut près d’une heure pour relever notre tarantass et nous remettre en roule. À peu près dégrisé par l’incident, notre yemchtchik se montra plus maniable.

UNE STATION DE POSTE EN SIBÉRIE[1] (PAGE 196).

Enfin, après avoir franchi deux montagnes assez élevées, traversé plusieurs rivières et torrents, nous arrivons en vue de la prise ou placer Andrewski, but de notre excursion. Nous côtoyons une ligne de huttes de travailleurs : elles sont faites en écorce d’arbres. Des gens nous crient de nous arrêter, que nous sommes dans un mauvais chemin. Notre cocher, qui, malgré la nuit, aperçoit au loin les lumières du village, continue sa route. Nous nous arrêtons au bord d’un précipice et revenons dans le bon chemin à travers champs. C’est le dernier incident. Dix minutes après, nous arrivons devant la porte du propriétaire de la mine, qui nous invite gracieusement à entrer. Nous sommes chez des israélites.

Ici encore, l’allemand m’est d’un grand secours, et c’est en cette langue que notre hôte, M. Kaplounof, m’adressera toujours la parole. Bientôt tous nos paquets sont transportés dans la maison et le dîner est servi. Tout est propre et bon. Quand vient le moment de fumer, on ne veut pas que je me serve de mes cigarettes. Tout ce qui est ici est à ma disposition : me servir de mes affaires serait faire offense à l’hospitalité juive, M. et Mme Kaplounof ont abandonné leur propre chambre pour nous l’offrir. Nous avons des lits et des draps ! Je remarque que les couvertures sont un peu légères et je vais chercher Les nôtres. On me les prend des mains et l’on en apporte de nouvelles, toujours d’après le même principe d’hospitalité. Nos objets de toilette obtiennent cependant droit de cité.

  1. Gravure de Th. Weber, gravé par Privat.