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le pays depuis quelques années. Son étonnement n’est pas petit de m’entendre, après avoir causé avec lui en chinois, lui adresser la parole dans sa langue maternelle. Il me dit que maintenant il est Russe, et fixé pour toujours à Mirsanova.

NOTRE TARANTASS[1] (PAGE 194).

La route est plate, ou plutôt il n’y a pas de route. On va droit devant soi au milieu d’immenses plaines. Un tarantass venant dans l’autre sens passe à plus de 100 mètres de nous. Bientôt nous ne sommes plus qu’à ou 6 verstes de Kazanova, la prochaine station. Tout à coup nous voyons arriver sur notre gauche, à une cinquantaine de mètres, la voiture de M. X… qui cherche à nous dépasser. Notre yemchtchik se dresse sur son siège, et alors commence entre nos deux attelages une lutte de vitesse difficile à décrire. Les chevaux deviennent aussi fous que les cochers, l’épuisement seul aura raison des uns et des autres, si toutefois aucun accident ne vient mettre un terme à celle course. Des chevaux paissent non loin de là : entraînés par noire exemple, ils se mettent de la parue et galopent autour de nos voitures, ce qui affole encore davantage nos bêtes. Mais tout a une limite, même la force des chevaux sibériens : les nôtres s’arrêtent d’eux-mêmes devant la station de poste, plus qu’à moitié fourbus.

Nous sommes en plein pays aurifère. Nous résolvons de faire un détour pour aller visiter les mines, bien qu’il soit dangereux d’abandonner la route de poste et de s’enfoncer dans les montagnes.

Nous partons après un déjeuner sommaire. Le chemin suit une étroite vallée, au milieu de laquelle coule un torrent. C’est à peine si nos quatre chevaux, attelés de front comme d’habitude, ont, en certains endroits, assez de place pour passer. Un faux pas, et nous serions précipités dans l’eau. Ils galopent cependant avec ardeur, conduits habilement par un excellent yemchtchik qui ne ralentit même pas leur allure quand il faut passer d’un bord à l’autre du torrent, sur des ponts étroits, sans parapets, composés de troncs de sapins placés côte à côte sur deux ou trois plus gros qui servent de solives, et nous arrivons, après avoir franchi 19 verstes en 70 minutes, devant le placer ou prise de M. Jan Bujwid. Nos chevaux, fatigués, ont peine à gravir la pente au haut de laquelle se trouve la maison. À 10 mètres du sommet ils s’arrêtent et sont entraînés en arrière par le poids de notre lourd véhicule. C’est ici que la fourche aurait pu nous servir. Le yemchtchik, Hane et moi sommes à terre en un clin d’œil, des gens accourent, on pousse aux roues, et M. Bujwid aide Marie à descendre.

Nous n’avons pas de chance. C’est aujourd’hui la

  1. Gravure de Bazin, d’après une photographie.