Page:Le Tour du monde - 67.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant dehors, sur la berge, les Cosaques ont allumé leur feu et font la cuisine comme si Le ciel était pur et parsemé d’étoiles. La seule chose qu’ils cherchent à protéger contre les cataractes du ciel, c’est leur brasier et leur marmite.

5 juillet. — À 3 heures et demie nous partons. Nous allons doucement, en sondant tout le temps. À plusieurs reprises la voix monotone de l’homme de sonde nous a donné des émotions. Il a annoncé deux pieds et demi, puis deux. Nous avons senti des secousses produites par les cailloux du fond de la Chilka, mais nous avons franchi la passe. À 9 heures et demie c’est plus sérieux. Nous entendons successivement : « Dua polovinoi, dva, deux et demi, deux », puis nous sentons des soubresauts et nous nous arrêtons : nous sommes au plein. Il nous faut quelques minutes pour nous dégager en faisant machine en arrière. La Zéa accoste le bord, et le capitaine ordonne à tous les passagers de troisième de descendre à terre et de s’en aller à travers champs jusqu’à un village que l’on voit à une certaine distance. Allégés d’autant, nous passons ; nous reprenons nos Cosaques, que je compte au moment où ils montent à bord : ils sont plus de cent, et ils n’étaient pas tous descendus. La même opération se renouvelle une heure plus tard. Cette fois-ci, pour prendre un peu d’exercice, je me joins, avec une ou deux personnes, aux Cosaques qui descendent.

OUSTE-KARYISKAYA[1] (PAGE 271).

On nous avait dit de suivre le bord de l’eau et que notre promenade serait à peu près d’une verste : elle fut de huit, et à 100 mètres de l’endroit où la Zéa nous attendait la rive était un vrai marais qu’il nous fallut traverser dans de la boue jusqu’aux chevilles.

L’archiprêtre est un peu inquiet. Il se dit que je ne manquerai pas, en rentrant en France, de parler de ce que j’ai vu en Sibérie. Or le général Kapoustine envoie ses enfants à l’université de Tomsk, ce qui tendrait à prouver que Tomsk est le seul endroit en Sibérie où l’on puisse s’instruire. Cela n’est pas exact. Dans toutes les grandes villes il y a des collèges, des séminaires, à Blagovechtchensk notamment, où l’instruction que l’on donne est tout aussi bonne qu’à Irkoutsk ou à Tomsk ; il déplore cette habitude que l’on a de chercher au loin ce qui est sous la main.

5 juillet. — À 6 heures nous arrivons à Gorbitsa, le septième et dernier des péchés capitaux. La rivière est maintenant partout à peu près assez profonde pour nous permettre d’arriver à Stretinsk sans encombre. Des indigènes montés sur des rennes viennent auprès du bateau. Ils chassent devant eux plusieurs de ces animaux portant des fardeaux. C’est la première fois que nous en voyons.

De nouveaux passagers montent à bord, un monsieur et une dame. Cette dernière trouve qu’elle sera mieux avec nous que dans le salon de l’avant. Elle vient donc sans façon s’installer à notre table. À 11 heures nous nous arrêtons pour la nuit à Ouste-Tchernaya. Avant de me coucher, je vais prendre un bain, Il fait une lune splendide. En rentrant, mon attention est attirée par des éclats de rire. Un triton et une naïade prennent leurs ébats à quelque 30 mètres du steamer. Mon apparition n’a pas l’air de les gêner outre mesure ; ils se contentent de me tourner le dos, en s’enfonçant tant soit peu dans l’eau.

6 juillet. — Nous avons pris à Gorbitsa un certain nombre de juifs ; ils sont facilement reconnaissables. L’un d’eux m’aborde timidement et, m’appelant général, me demande la faveur de quelques minutes d’entretien. Il sait que je suis Français, et voudrait, au nom de ses

  1. Dessin de Berteault, d’après une photographie.