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Le paysage est de plus en plus romantique. Nous apercevons au loin, dans un site charmant de verdure et de fraîcheur, un joli étang miroitant gaiement aux rayons dorés du soleil. Il y a ici comme en Suisse un grand nombre de lacs. Le Coréen les aime à ce point, que non seulement il va souvent chercher au loin leur calme et leur fraîcheur, mais qu’il les reproduit de toutes façons par Le dessin, la peinture ; mieux encore, il en crée d’artificiels pour décorer ses jardins, car, pour lui, l’eau est au paysage ce que l’œil est à la face.

L’art des jardins consiste pour les Japonais en une réduction grotesque des beautés champêtres, tellement qu’il mettra tous ses soins à obtenir qu’un arbre de cent ans ne dépasse pas un mètre, placera près de lui une cuvelle pour figurer un lac et entourera le tout de quelques pierres bizarres. L’ensemble forme comme un parc de Lilliput, qui produit chez l’Européen une véritable impression de tristesse quand il songe à tant de labeurs, de science, d’années perdus pour atrophier la nature. Le Coréen, au contraire, amoureux de paysages, choisit toujours admirablement bien l’emplacement que doit occuper son jardin. Au centre, un étang entouré à distance de légères ondulations de terrain, dont la luxuriante végétation se reflète doucement dans l’eau, qui joue toujours ici le premier rôle ; elle est quelquefois recouverte de lotus, dont l’admirable feuillage et la fleur éblouissante sont une fête pour les veux. Quoique en général on harmonise au paysage qui l’entoure la forme et la grandeur du fac, il est habituellement circulaire et ses eaux viennent mourir sur une fine grève ; parfois pourtant il est entouré de parapets de granit. Dans les deux cas il y a au centre une île ronde recouverte de gazon où un arbre solitaire, toujours vert, étend ses rameaux et produit par son isolement même un effet charmant. Il est parfois séculaire, et symbolise la vieillesse, que le Coréen aime et respecte par-dessus toutes choses. L’étang est toujours peuplé de poissons, principalement des carpes, que le propriétaire se réserve seul le droit de pêcher. C’est pour lui une jouissance pleine de dignité : aussi vient-il souvent s’asseoir sur l’herbe à l’ombre de châtaigniers ou de pins coréens très décoratifs, rappelant ceux de Californie.

Là, bien abrité, il aime à lire ses auteurs favoris, qu’il quitte de temps à autre pour jouir du délicieux paysage qui l’entoure, ou suivre des yeux, au travers des plantes aquatiques que le vent balance doucement, un gros poisson apparaissant au soleil pour s’emparer de quelque insecte ailé ; alors son désir de pêcheur s’éveille, il tend sa ligne et, séparé du monde par sa passion, que son étang soit grand ou petit, qu’il fasse jour ou nuit, il oublie tout.

Une autre particularité des jardins, ce sont des rochers artificiels, de 3 à 5 pieds de haut, plantés de-ci de-là à même le sol ou reposant sur des dalles plates de pierres polies. D’autres sont au bord du lac, et, par un habile travail fait de main d’homme, semblent avoir été curieusement sculptés par le va-et-vient de l’eau qui les entoure.

Dans la campagne qui nous environne en ce moment, nous retrouvons, mais avec plus de grandeur, tout le charme qui caractérise les jardins coréens.

Nous voici arrivés à Ouen-tong. Dans la maison, en face de l’auberge, les portes du salon extérieur donnant sur la rue sont grandes ouvertes ; au bas un grand nombre de chaussures sont déposées la pointe du côté du mur, et nous voyons dans l’intérieur quelques Coréens assis sur des nattes, mangeant, fumant et causant avec animation. C’est ainsi qu’ont lieu publiquement, en été, les réunions en Corée. Les femmes en sont absolument exclues, même en hiver, où toutes les portes sont closes. Lorsque dans cette saison le froid est excessif, quatre brasiers sont allumés près des angles de la chambre.

Lit coréen. — Dessin de F. Courboin, d’après nature.

En Corée, les femmes ont, d’ailleurs, les mêmes distractions que dans les autres pays. Elles se visitent entre elles dans leurs appartements intérieurs. Quant aux hommes, ils aiment aussi à se réunir les uns chez les autres. En dehors de la politique, sujet dangereux, qu’il est préférable d’éviter, la plus grande liberté règne dans la conversation. On s’occupe quelquefois de littérature, de composition poétique, mais le plus souvent on se borne à colporter les médisances du jour ou les bons mots nouveaux, car le Coréen est très friand d’esprit, et sa curiosité n’est jamais qu’incomplètement satisfaite.

À l’issue du déjeuner, au moment du départ, comme je fais l’inspection de ma caravane, je remarque avec satisfaction que le pauvre cheval borgne, dont j’ai dû m’occuper depuis le départ de la caravane, est devenu le plus allègre de ses compagnons, grâce à la bonne nourriture qu’il reçoit chaque jour. Je fais donc surcharger mon gaillard, au grand allégement du poney le plus faible, et tout cela à la satisfaction générale de mes Coréens, qui n’avaient vu dans mon premier acte qu’un excès de sensibilité. Très rigide les premiers jours, je n’ai maintenant aucune observation à faire, et mon escorte me considère comme le