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2 LE TOUR DU MONDE.

cevions les côtes de lPAnnam. Bientôt après, nous ac- | des navires de l’escadre ont été réquisitionnés. Ils ac-

costions en mer le Chäteau-Renard, aviso de la flotte des mers de Chine, que l’amiral Courbet, en station dans [a baie d’Along, envoyait à notre rencontre pour nous guider à travers les passes encore peu connues qui conduisent à cette baïe.

Le Chäleau-Renard lance par-dessus notre bord un gros câble, que les matelots attachent à la proue de l’Annamitle, et nous nous engageons, à la remorque, à travers les écueils à fleur d’eau qui surgissent de tous côtés,

Nous côtoyons à les raser des pointes de roches que la mer recouvre d’une écume blanche. Assis à la coupée, tout près de Veau, je ne puis m’empêcher de songer qu’il ne faudrait qu’un faux coup de barre du pilote pour nous jeter sur les récifs, dont notre grand bateau frôle les aspérités aiguës,

Au fur et à mesure que nous avançons, les écueils émergent de plus en plus au-dessus de l’eau. Ge sont maintenant de grosses masses graniliques, d’un gris sombre, dépassant de huit ou dix mètres la surface des vagues. Ces blocs affectent les formes les plus variées et les plus inattendues : gros cylindres, tourelles, cônes, pyramides, silhouettes fantastiques. Leurs sommes seuls sont recouverts d’une mince couche de terre végétale dans laquelle ont poussé des mousses et des lianes ; leur base est minée par les eaux de la mer, Le Château-Renard nous remorque sans hésitation au milieu de ce chaos de roches, derrière lesquelles il disparaît parfois, tant le chemin est tortueux. Après une heure environ de cette navigation pénible, nous jetons l’ancre au milieu de la baie d’Along, où nous jouissons d’un spectacle admirable,

Tout autour de nous et à plusieurs milles, les

roches grises que nous venons de traverser forment comme une ceinture de granit. Dans l’immense bassin qu’elles limitent, la mer, d’un bleu verdâtre, est unie comme une glace. À peine, tout au loin, trace-t-elle un léger sillon d’écume blanche à la base des blocs de granit qui hmitent l’horizon.

… Reposant sur leurs ancres, au milieu de ces caux calmes, les huit navires de guerre de l’escadre nous attendent sur une même ligne, En avant se tient le cuirassé amiral, portant à l’arrière le fanion tricolore et à son grand mât la longue et étroite flamme de guerre, L’amiral Courbet est à son hord. Les co- (çues des bateaux, peintes en blanc éclatant, s’enlèvent vigoureusement sur le fond gris des roches. Autour l’elles circulent constamment les vedettes à vapeur de l’escadre, apportant des ordres, les canots à rames des officiers de marine, et les embarcations du pays dont les voiles de nattes, gonflées par la brise. ressemblent à de grandes ailes de papillons.

Cest à la baie d’Along que nous devons quitter l’Annamite, pour embarquer sur le Dracq, petit aviso de la flotte dont le tirant d’eau, moins considérable, nous permettra d’atteindre Haï-phong. Le transhordement des troupes se fait le 18 février, Tous les canols


costent l’Annamite six par six. Les soldats ÿ descendent avec leurs sacs et leurs armes : les’ six canots, une fois chargés, s’éloignent remorqués à la file indienne par une toute petite vedette à vapeur.

Le Dracg lève l’ancre à quatre heures du soir ; nous quittons la baie d’Along en abandonnant nos chevaux, nos ordonnances et tout le matériel d’ambulance, qui ne pourront être transbordés que plus tard. Pendant une demi-heure nous voguons au milieu des roches. Il faut la grande habitude que le pilote a de cette route pour que nous ne touchions pas, tant les écueils sont nombreux et le passage étroit. Pour ajouter encore aux difficultés de la navigation, les nuages s’amoncellent ct nous enveloppent d’une telle brume qu’il est impossible d’y voir autour de s01. De temps en temps nous sommes assaillis par des averses qui nous trempent jusqu’aux os, malgré les caoutchoucs dont nous nous sommes niunis,

Nous entrons dans le fleuve Rouge à la nuit tombante. La navigation y est encore plus difficile que dans la baie ; près de son embouchure, ce fleuve charrie une si grande quantité de sable et de vase, que très souvent sa profondeur s’en trouve modifiée d’un jour à l’autre : on se heurte à un banc de sable dans l’endroit même où la veille on était passé par six ou sept mètres de fond, On conçoit que, dans ces conditions, il faille veiller. Aussi le commandant du bateau et le pilote sont-ils cn permanence sur la passerelle : ils modifient à chaque instant la marche du navire, en se guidant sur la boussole, car on n’y voit plus goutte.

Nous devions continuer jusqu’à Haï-phong, mais cette nuit noire nous oblige à jeter l’ancre en plein fleuve : la quille du ‘bâtiment laboure là vase sur une profondeur de 16 centimètres et il ne serait plus prudent d’avancer.

. Le lendemain nous dérapons au point du jour, La brume s’est dissipée, et je puis pour la première fois apercevoir un coin de ce Tonkin dont on parle tant en France. La première impression n’est guère favorable. Les eaux boueuses du fleuve Rouge, dont la largeur atteint plus de 800 mètres, coulent entre deux berges de terre argileuse très basses, sous un ciel gris et maussade. La campagne absolument plate est bornée à l’horizon par de hautes montagnes bleuâtres, à demi voilées sous de petites nuées flottantes,

Le fleuve fait un coude brusque, et lout à coup nous apercevons au loin un amas de maisons blanches bâties le long du rivage : c’est Haï-phong.

A voir de loin Haï-phong, en arrivant ainsi par le fleuve, on croirait que c’est une grande ville. Tout contre le quai sont construits l’hôpital, la maison du commissaire de la marine, la demeure du résident de France, les magasins du port et une ou deux maisonnettes en bois à un seul étage, décorées du nom pompeux d’hôtels. Les façades de toutes ces constructions d’assez belle apparence sont disposées sur une seule ligne, faisant face au fleuve. Elles sont entourées de