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2 LE TOUR DU MONDE.

j’allais habiter, maison construite lors de noire précédent séjour ! Le brave Hamon était resté là, à la garde du reste de notre matériel,

J’y retrouvai aussi le pauvre Metoufa, un des deux laptots compagnons de nos misères ; le sentiment de sa responsabilité l’avait presque rendu fou, le jour où, devant porter une lettre à mes compagnons, il s’était vu abandonner par l’Adouma conduisant la pirogue minuscule,

Les murailles en bambous de notre maison, ajusiées un peu à la hâte, laissaient bien percer quelques rayons de soleil ; Le soir,.les nombreux insectes s’en donnaient un peu trop à leur aise dans ma chambre à coucher : n’importe, c’était notre maison à nous, située en pays okanda, où nous n’avions que des amis,

Les deux mois de maladie avaient ajouté à ma maigreur naturelle ; j’étais d’une faiblesse extrême, On devait encore me soutenir pour me conduire de la couche au fauteuil improvisé sous la véranda,

C’est là que je passais en partie les journées de lente convalescence, aspirant avec mes poumons fatigués la brise vivifiante du matin. C’est là que, peu à peu, reprenant des forces, j’allais attendre l’époque voulue pour remonier chez les Adoumas avec le reste des hommes et du matériel,

Le panorama était splendide. Le pays okanda dérou-Init à ma vue ses ondulations herbeuses jusqu’au pied de la chaîne de l’’Okeko, qui les entourait comme un vaste amphithéâtre,

Elles sont belles, ces montagnes, dont les majestueux sommets se découpent dans l’azur du ciel : elles sont magnifiques, avec leurs forèts et leurs bouquets de verdure à mi-côle,

Plus join, au nord ct à l’est, apparaissaient, à travers une atmosphère indécise, les sombres forèts du pays ossiéba, aux mystérieuses profondeurs.

Au soleil levant, je voyais les villages environnants, dorés par Îles premiers rayons, animer cette plaine riante ; çà el là, dispersés dans les sentiers, j’apercevais les indigènes semblables à des poinis noirs se dirigeant vers Lopé, C’étaient tantôt les hommes redescendus avee moi de l’Adouma venant prendre de mes nouvelles ; tantôt leurs femmes ei leurs jeunes garçons accourant pour me souhaïiler la bienvenue, C’était la femme de N’doudou, c’était la femme d’Atchouka, les deux vieux chefs des distriels voisins de l’Ofoué ; c’était la vieille mère de Boaya, fière de son fils, le jeune chef, dont les connaissances ct le zèle avaient été pour beaucoup dans le succès du voyage ; c’étaient les enfants des villages rapprochés, amenés par leurs parents pour voir l’homme blanc ; c’était la jeune mère venant me présenter son nouveau-né, implorant pour lui une caresse, à laquelle s’attachait une idée superstitieuse de richesse et de bonheur.

C’esi ainsi qu’entouré du respect et de la sympathie de tous, chaque jour je revenais de plus en plus à la santé,

Le pays entier, ce pays que je considérais, un an


auparavant, comme absolument perdu en plein centre africain ; cos hommes, que j’avais regardés comme des brutes, se présentaient à moi sous un lout autre aspoct,

Quelle transformation s’était done opérée ?

Cest que, pour ces sauvages, l’étranger dont ils se défiaient avait fait place au grand chef ami, et que j’avais usé de mon ascendant pour les grouper dans une entreprise d’utilité générale, qui avait amené l’aisance dns a contrée ; c’est que je los avais liés à moi par des intérêts communs dont ils ressentaient déjà les bienfaits.

Les pirogues okandas redescendues en même temps que moi étaient chargées d’esclaves, de moutons, de cabris, d’huile de palme, de moustiquaires et d’étoffes indigènes. Môme des pirogues adoumas, confiantes en mon étoile, s’étaient jointes à nous, espérant pouvoir remonter sans encombre à travers leterritoire pahouin, Les Okandas se trouvaient ainsi abondamment pourvus de produits indigènes, destinés à êlre avantageusement échangés avec les Inengas et Galois dont les pivogues allaient remonter chargées de marchandises d’Europe,

Telle était la source de prospérité, due au rétablissement des relations commerciales entre Les pays okanda et adouma, Avant mon arrivée dans la contrée, les Okandas recevaient des Adoumas et des Chébos les quelques rares esclaves qui étaient descendus en trompant la surveillance des Ossiébas,

C’étaient là les derniers vestiges d’un commerce jadis florissant, L’ancienne prospérité renaitrait si ces peuplades belliqueuses pouvaiont, grâce à notre interven-Hon, cesser d’empècher toute transaction, Aussi ma venue, à la tête d’un premier convoi si considérable et si riche, élait un événement, salué d’acclamations unanimes.

Je crois nécessaire de donner quelques détails historiques sur la migration lente, continue et irrésistble de ces peuples fans, pouvant s’accumuler, prospérer et disparaitre sans laisser d’autres traces de lour passage qu’une vague tradition affaiblie par le temps,

Depuis une époque déjà reculée, des peuplades de l’intérieur, venant du nord-est, étaient poussées vers l’ouest par un sentiment instinctif qui les rapprochait de la côte, Gctte migration chassait devant elle ou dispersail des peuplades de races différentes, À un moment donné, elle se divisa en deux branches : l’une se dirigea vers les rivières du Gabon, de Muni ot du Nord ; l’autre arrivait sur l’Ogüoué, par la vallée de l’Ivindo.

La première se composait des l’ans-Baichis ou Pahouins ; la seconde formait la grande famille des Fans-Makey, mieux connue, sur Les bords de l’Ogôoué, sous l’appellation d’Ossiébas,

Leur nom seul portait la terreur parmi les populations riveraines, qui se retiraient devant ces envahisseurs précédés d’un renom de bravoure éprouvée et de

canuibalisme.