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2 LE TOUR DÙÜ MONDE,

le Chah annonçait à son collègue du quai d’Orsay le retrait des firmans royaux, Il se basait sur la pétition des mollahs de Dizfoul, pétition dont Mirza Abdoul-Kaïm nous avait déjà donné une lecture sommaire, Jamais instrument plus bizarre ne franchit les portes d’une chancellerie, Qu’on en jugel

" « Pétition du clergé de l’Arabistan à Son Excellence Mozaffer el-Molk, gouverneur de l’Arabistan, du Lori-

sian, etc.

« Nous vous exposons..….

« Il est certain que les croyances de chaque contrée sont différentes, mais, dans la Susiane, nous savons tous, depuis longtemps, que la cause de la cherté des vivres à Dizfoul, des pluies torrentielles et des nuages aux noires couleurs qui s’amoncellent tous les soirs à Phorizon, doit être attribuée à l’arrivée des ingénieurs français installés auprès du tombeau de Daniel,

« Leurs Excellences fouillent les tombeaux de gens qui, depuis des milliers d’années, reposaient sous la terre, et qui, de leur vivant, furent de fervents disciples de leur religion ; ils extraient des profondeurs du sol les talismans que nos prophètes y avaient autrefois enterrés pour la sauvegarde de la Susiane, Que de maladies vont désoler notre pays ! Il est en effet prouvé que, toutes les fois que les Francs ont mis le pied en Sugiane, des signes précurseurs de la colère divine nous ont élé envoyés et ont précédé les plus terribles fléaux. Que Dieu protège-notre cité et éloigne les auteurs de tous nos maux ! »

Mozaffer el-Molk, enchanté de se débarrasser sans bruit de voisins gênants, et, plus encore, d’éloigner de ses lèvres un calice bien amer s’il nous arrivait malheur, saisit l’occasion à ses longs cheveux. Le gouverneur raconta les scènes tumultueuses qui avaient signalé notre installation à Suse, il parle des vexetions auxquelles nous avions été en butte pendant lo pèlerinage, des fréquentes incursions des Arabes nomades sur. le territoire persan, du fanatisme local, et, faisant bouquet de toute fleur, envoya ses élucubrations administratives au prince Zellè Sultan, fils aîné du Cheh et son supérieur hiérarchique,

Le gouvernement iranien s’avouait incapable de réprimer les sentiments hostiles de ses sujets, d’assurer notre sécurité, et, avec une humilité sans égale, décli-

nait toute responsabilité dans le cas où la mission se-

rait pillée ou massacrée,

Notre agent diplomatique joignait à ces divers documents son eppréciation personnelle : « Nous nous trouvons, disait-il, en présence d’obstacles sérieux, suscités par le superstition locale, et contre lesquels, dans sa faiblesse, le gouvernement porsan est impuissant à réagir, Que des coups de fusil soient tirés contre notre personnel scientifique, Son Excellence Mozaffer el-Molk m’a formellement déclaré que le gouvernement de Sa Majesté n’en saurait être rendu responsable ; cet incident peut parfaitement. se produire avec des populations ignorantes et pillardes qui, il y a trois ans à peine, ont détruit la ligne télégraphique de CGhouster à Is-


pahan sans qu’aucun châtiment ait pu leur être infligé, D’autre part, si les difficultés dont m’a entretenu le ministre des Affaires étrangères ne sont pas sérieuses et ne tiennent qu’à l’avidité de quelque gouverneur, j’en serai avisé par M, Dieulafoy et je pourrai alors faire donner des ordres plus formels par $, À. Zellë Sultan ; mais les lettres, vieilles d’un mois, que j’ai seulement pu recevoir do M, Dieulefoy ne me laissent pas d’illusion ; notre ingénieur me déclarait qu’il était déjà en butte à mille vexations. Je ne sais, étant donnée le difficulté des communications entre Téhéran et Chouster, s’il aura reçu mes réponses, dans lesquelles je lui roecommandais le plus grande prudence... »

Dès notre retour, les négociations furent activement reprises, La cour de Téhéran finit par autoriser la misgion à séjourner encore quelques mois dans le voisinage du Gabrè Danial, sous la réserve expresse que le gouvernement de la République ne demanderait ni explications ni indemnité si Les agents français, comme tout semblait lo faire prévoir, périssaient au cours de la prochaine campagne, En réponse à de nouvelles représentations il fut pourtant convenu que le roi, sans assumer une responsabilité qu’il répudiait absolument, ne modificrait pas les termes des firmans octroyés l’année précédente et ne nous retirerait pas lo bénéfice des recommandations officielles dont Mozaffer el-Moik avait tenu le compte que l’on sait,

En retour de cette concession, le ministère des Beaux-Arts s’engagea à rappeler la mission dens les premiers jours d’avril, afin de ménager les susceptibilités musulmanes au moment du pèlerinage annuel.

Lors de notre départ de Suse, toutes les difficultés semblaient apaisées. Les ouvriers témoignaient de la déférence à ces Faranguis tenus jadis pour les légitimes descendants de Chitan ; Cheikh Mohammed Tahèr nous autorisait à construire une maison sur les wakfs de Daniel et montrait ainsi qu’il considérait la reprise des travaux comme parfaitement admissible,

Dans ces conditions, mon mari avait pensé que MM. Babin et Houssay pourraient traverser les montagnes des Bakhthyaris, arriver à Suse vers la fin d’octobre, rassembler les ouvriers, diriger les premiers déblaiements, tandis que, de notre côté, nous reprendrions en novembre la route du golfe Persique. Les complications diplomatiques modifièrent ses projets, Si la mission revenait à Suso, elle devait y rentrer au complot et supporter, unie, la bonne ou la mauvaise fortune.

Un télégramme enjoignit à nos camarades de descendre au plus vite vers Bender-Bouchyr, où nous devions

‘les trouver : puis, comme la durée des fouilles était

limitée au 1‘ avril, je bouclai sans délai les cantines, Nous emportions, avec nos bagages, une chèvre divisée en fragments assez légers pour être chargés sur des chameaux, Faute de cet engin puissant, il eût fallu abandonner les objets de grand poids, tels que les tau… reaux de pierre. À la place de Sliman, nous emmenions un charpentier de marine, cédé par le port de

Toulon.