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détruite d’un peuple de géants ; on se fera une idée de son aspect général si l’on imagine la triple combinaison de la forêt de Fontainebleau avec ses pins et ses caprices rocheux, de la Suisse saxonne avec ses arches et ses piliers de grès, des falaises cauchoises avec leurs murs blancs et leurs ogives immenses,

Absolument indescriptible est cette Pompeia cyclopéenne toute sillonnée de rues et de carrefours, creusée de cirques, remplie d’obélisques et d’arcs de triomphe, beaucoup plus vaste que le bois de Païolive (Ardèche) et que Mourèze (Hérault) ; tout au plus peut-on en expliquer la disposition topographique, comme nous le verrons tout à l’heure.

Pourquoi est-elle restée si longtemps ignorée des promeneurs et des géographes ? Pour deux raisons : d’abord parce que les murailles qui lui servent de soubassement, de piédestal, ne diffèrent en rien des remparts analogues du pays, et que des rives de la Dourbie on ne pouvait supposer l’intérieur de la formation dolomitique aussi capricieusement évidé : du fond de la vallée rien ne fait pressentir l’œuvre immense d’érosion qui s’est accomplie derrière ces murailles. Puis, autre raison, parce que les habitants d’alentour avaient peur de cette espèce de ville morte : la superstition leur montrait là une cité maudite démolie par le diable et hantée par les mauvais génies ; avec terreur ils s’en approchaient pour querir leurs chèvres ou couper du bois ; ils se gardaient bien d’en parler aux étrangers, qu’ils n’y eussent conduits à aucun prix.

L’étymologie du nom est bien simple : frappés par la disposition artificielle et architecturale de ces rochers, les pâtres comparèrent ce chaos à ce qu’ils avaient vu dans les édifices du chef-lieu de l’Hérault, la plus grande ville de la contrée et pour eux la cité par excellence ; de là vint tout naturellement la dénomination de Montpellier, à laquelle l’idée de ruine, de destruction, fit joindre l’épithète de le Vieux.

L’Autel (voy. p. 316). — Dessin de Vuillier, d’après une photographie de M. Chabanon.

La formation géologique ne présente pas plus de difficultés d’explication : c’est l’érosion seule, l’écoulement des eaux sauvages qui, à une époque inconnue d’ailleurs, a donné naissance à tous ces accidents surnaturels : dans une zone de dolomies fort peu homogènes le ruissellement creusa les rues et les cirques en enlevant les parties friables, et dressa les colonnes et les monuments en laissant debout les noyaux de roche compacte.

Quant à l’histoire de la découverte, la voici : de 1880 à 1882 un grand propriétaire du causse Noir, M. de Barbeyrac, fit, d’après de vagues indications, quelques tentatives préliminaires sur la mystérieuse cité, en compagnie de ses parents, MM. de Riencourt, Joseph de Malafosse et Louis de Malafosse. En 1883 ils opéraient la première visite sérieuse, partielle cependant ; c’est alors que M. Louis de Malafosse révéla officiellement Montpellier-le-Vieux dans le bulletin no 8 de la Société de Géographie de Toulouse, tandis que M. de Barbeyrac adressait un article anonyme au journal l’Éclair de Montpellier. En 1884, M. Chabanon et moi, nous vînmes photographier la ville et en reconnaître les principales parties ; quelques touristes nous suivirent, entre autres MM. Julien (de Millau) et Trutat (de Toulouse), qui rapportèrent aussi de beaux clichés. En 1885, enfin, j’ai levé au 10 000e le plan topographique détaillé de la Cité du Diable, et plusieurs centaines de visiteurs sont montés à la suite des premiers explorateurs ; cette année même on s’occupe déjà de routes, de plans en relief, de buvettes, d’hôtels et de guides. Avant peu la France possédera là, à l’usage des étrangers, une nouvelle attraction de plus, digne complément des gorges du Tarn.