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Mais n’insistons pas sur ces renseignements pratiques qui se trouvent bien mieux à leur place dans les plus récentes publications du Club Alpin Français et des guides Joanne.

D’ailleurs on n’a pu, pour ces trois livraisons[1], suivre l’ordre ainsi tracé, car il fallait bien, de toute nécessité, montrer d’abord au lecteur le principal attrait, le chef-d’œuvre du pays, je veux dire les gorges du Tarn.

Le touriste, au contraire, se trouvera fort bien de débuter par la vallée de la Jonte, qui le préparera aux spectacles étranges et inusités de celle du Tarn : tandis qu’en voyant celle-ci la première, l’autre ne serait pas estimée par lui à sa vraie valeur. Il est certain que le parcours en bateau et les trois passages du Détroit, des Baumes et du pas de Soucy rendent le cagnon du Tarn bien supérieur à celui de son affluent : cependant, quand on descend (au lieu de remonter comme l’exige l’itinéraire) la route de voitures de la Jonte, on ne peut se lasser d’admirer les formidables escarpements de ses deux parois, plus colorés et plus réguliers que dans le Tarn. Les ravinements de Saint-Michel, du Truel, des Douzes, etc., coupent ce double rempart crénelé long de 21 kilomètres de Peyreleau à Meyrueis.

Il n’y a pas lieu de s’attarder à des descriptions locales au cours desquelles se représenteraient constamment les termes de comparaison empruntés au vocabulaire déjà épuisé de l’art des fortifications. Abordons plutôt un sujet d’autre genre en disant quelques mots des grottes ouvertes dans les deux parois de la vallée de la Jonte.

Presque toutes celles percées dans les flancs du causse Méjan, orientées au sud par conséquent, ont servi d’habitations aux hommes de la pierre polie : on sait quelle est l’importance de la Lozère au point de vue des recherches préhistoriques, quelles riches et importantes découvertes y ont été faites, combien de fouilleurs (notamment le docteur Prunières, de Marvejols) y ont eu la main heureuse. Or tout n’est pas vidé, loin de là, parmi les antres de cette vallée : s’ils ont du temps à eux, les touristes qui savent observer trouveront encore de grandes jouissances à gratter le sol de certaines cavernes, même après tous les savants qui les ont déjà précédés. Car il y a dans ce travail souterrain, dans ces explorations troglodytiques, une source d’émotions, de joies, de déceptions, d’aventures même, dont la fièvre vaut bien celle des périlleuses ascensions et des voyages lointains.

La plus célèbre de ces grottes est celle de Nabrigas, creusée dans la muraille du causse Méjan, à 300 mètres au-dessus de la Jonte et à 6 kilomètres à l’ouest de Meyrueis : depuis 1835 elle est connue comme un gisement inépuisable d’Ursus spelæus ; j’y ai même trouvé les restes de l’homme quaternaire contemporain du grand ours fossile.

Juste en face de la caverne de Nabrigas s’ouvre, de l’autre côté de la vallée de la Jonte, dans la paroi du causse Noir, la grotte immense de Dargilan : l’entrée en est si étroite que jusqu’à ces dernières années on n’en soupçonnait pas l’existence ; en 1880 un pâtre voyant pénétrer un renard dans un trou au bord d’un sentier crut pouvoir prendre l’animal au terrier et se mit à l’enfumer : il ne réussit pas, car maître renard ne reparut point, et pour cause !

Le jeune berger, ayant éteint ses feux et élargi l’ouverture, pénétra dans un boyau souterrain d’où il sortit bientôt terrifié : il avait vu, dit-il, l’entrée de l’enfer, un gouffre noir et sans fond.

Reconnaissance faite, il avait tout simplement découvert la grotte de Dargilan, composée de plusieurs belles salles dont une a plus de 30 mètres de hauteur sur 100 de diamètre ; faute d’un matériel ad hoc, cette cavité n’a pu encore être explorée en entier : on y a vu l’entrée de diverses galeries impraticables sans échelles : peut-être existe-t-il là des splendeurs comme à la baume des Doumizelles, près de Ganges. Avis aux amateurs d’émotions souterraines.


III. Meyrueis. — L’Aigoual. — Bramabiau. — Saint-Véran.


Nous ne nous arrêterons à Meyrueis, chef-lieu de canton lozérien depuis longtemps mentionné au guide Joanne, que pour y signaler la charmante maison Renaissance de M. Belon, dans une ruelle écartée, et pour faire remarquer la très curieuse situation géologique de cette petite ville au point de contact des plateaux calcaires des causses Noir et Méjan et des schistes et granits de l’Aigoual.

Le roc de la Bouillère, que représente une de nos gravures, est un pylône naturel ménagé dans les dolomies supérieures, à 300 mètres au-dessus de Meyrueis ; on l’a utilisé pour la route de Hures et de Sainte-Énimie qui traverse le causse Méjan dans sa plus grande largeur. C’est un peu au-dessus de ce portail que l’on quitte la route si l’on veut se rendre à travers champs et rochers à la grotte de Nabrigas.

Les frais vallons boisés de la Brèze et du Butézon, dont les tributaires ravinent les pentes de l’Aigoual, contrastent complètement avec les grandes déchirures des causses : de jolis sentiers les parcourent qui mènent en peu d’heures au sommet de l’Aigoual (1 567 mètres).

Sur cette montagne on construit en ce moment un observatoire météorologique analogue à ceux du pic du Midi, du mont Ventoux, du Puy de Dôme, etc., et qui rendra les plus grands services, grâce à sa position extrêmement favorable sur la ligne de parlage des eaux d’Europe. La vue est fort belle : toutefois c’est le matin et le soir seulement, quand le soleil est bas sur l’horizon, qu’on peut distinguer la Méditerranée et les sommets lointains des Pyrénées-Orientales et des Basses-Alpes.

Bramabiau, au sud-est de Meyrueis, au point où le causse Noir se soude par un isthme étroit à la masse granitique de l’Aigoual, constitue une de ces bizarreries géologiques que l’on ne peut faire comprendre

  1. Voyez dans les livraisons 1347 et 1348 l’article de M. A. Lequeutre sur le Cagnon du Tarn.