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fort ; sur un autre piton, mais hors de vue, se trouvent celles du château de Peyre.

Un peu plus loin s’ouvre sur le bord de la rive gauche la grotte avec une forte source de l’Ironselle. Le site est charmant avec ses grandes roches en surplomb, sa fontaine, son fouillis de verdure : il est célèbre et mérite certainement de l’être, car il est fort bien « composé » ; aussi at-il été souvent dessiné ou photographié ; c’est un fort joli motif d’aquarelle. Du sentier on le voit mal, il se perd dans l’ensemble.

Au loin le Cingleglos montre sa fière silhouette et semble barrer la vallée : c’est grand et vraiment beau.

De rapides en planiols nous arrivons devant le Villaret, puis devant le beau cirque de Saint-Marcellin, mais là est un rapide sérieux, presque une cascade, et la barque doit passer entre deux roches à fleur d’eau et franchir un ressac assez fort causé par une roche excavée.

« Tenez-vous bien, dit Pierre Gall, et ne bougez pas », puis la barque file comme une flèche entre les deux roches. C’est absolument merveilleux d’adresse, nous n’avons pas embarqué une goutte d’eau : j’applaudis des deux mains, et Pierre se retourne en souriant. On fait généralement débarquer les voyageurs à ce passage, et l’on a raison, car le moindre faux mouvement pourrait faire chavirer la barque. Cette fois, la barque n’était pas chargée, de plus il n’y avait ni trop ni pas assez d’eau, et les bateliers ne m’ont même pas demandé si je voulais débarquer : ils agissent sans doute ainsi lorsqu’ils ne portent qu’un ou deux voyageurs.

La Roche-Aiguille (voy. p. 298). — Dessin de Vuillier, d’après nature.

En 1880, raconte M. de Malafosse, huit Anglais et deux Anglaises descendaient le Tarn dans deux barques. Arrivés à ce rapide, que leurs bateliers connaissaient mal, la première barque plongez dans le ressac, mais passa néanmoins après avoir eu ses passagers complètement mouillés. La seconde prit mal le courant et, malgré le coup de gaffe, trop tardif, de l’homme de l’avant, donna en plein sur le roc, s’ouvrit et coula à pic. Trois voyageurs et les deux pilotes furent roulés par le courant et jetés sur la berge : mais deux des Anglais se trouvèrent pris dans le rentrant de la roche et auraient péri sans l’aide de l’un des bateliers qui plongea et réussit à les dégager et à les entraîner avec lui. L’accident n’eut d’ailleurs aucune suite grave.

« Si j’ai cité cet accident resté mémorable chez tous les pêcheurs du Tarn, ajoute M. de Malafosse, c’est pour engager les voyageurs à ne passe fier au premier batelier venu. » C’est absolument mon avis.

Les autres rapides sont moins émouvants, mais je ne me lasse pas de regarder manœuvrer mes deux bateliers, fièrement campés, debout, pieds nus, aux deux extrémités du bateau, l’un complétant le mouvement de l’autre, avec cette aisance, cette sorte d’activité tranquille de ceux qui savent bien ce qu’ils ont à faire et qui ont le goût de leur métier.

Nous passons devant le joli hameau de la Sablière, nous laissons à droite le rocher noir des Églazines, et au loin devant nous se montre le pont du Rozier. Bientôt nous filons sous ses arches et nous venons accoster près du Rozier. Les Gall attachent le bateau et viennent avec moi à l’hôtel boire un verre de vin qu’ils ont certes bien mérité.

Nous voici au Rozier. Merci à vous qui m’avez accompagné ; merci à vous qui m’avez aidé dans mon voyage. Sur ce, je passe la plume à mon ami M. Martel qui complétera cette belle excursion, en vous conduisant à la cité du Diable ; à Montpellier-le-Vieux.


Alphonse Lequeutre.