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D’ici la vue s’étend sur le beau ravin des Bastides, sur tout le causse Noir, sur une partie du causse Méjan ; mais, si vous voulez avoir un panorama complet, montez (une heure environ aller et retour) à l’ouest-nord-ouest au mont Buisson (1 069 mètres), dont j’ai déjà parlé. Là vous verrez les trois causses, etc.

Près de Saint-Pierre se trouvent les célèbres grottes de l’Homme-Mort, l’une ayant servi d’habitation et l’autre de lieu de sépulture aux populations préhistoriques. Ces grottes, signalées en 1870 par M. le docteur Prunières, de Marvejols, ont été de nouveau fouillées par lui et le docteur Broca en 1872. Vingt crânes bien conservés et une cinquantaine de squelettes y ont été découverts. D’après l’avis de Broca, la race des cavernes de l’Homme-Mort, quoique d’une taille médiocre, présente de nombreuses analogies avec la race de grande taille de Cro-Magnon ; les crânes sont très dolichocéphales (tête allongée), tandis qu’un crâne gaulois découvert dans un tumulus du voisinage par M. Prunières et examiné par Broca est brachycéphale comme les têtes de la population actuelle.


Nous pourrions d’ici nous rendre directement aux Vignes par le Bruel et la route de Saint-Prejet à Florac, mais je préfère traverser la grande solitude qui au nord s’étend jusqu’au bord du causse, et à onze heures nous partons pour Rieisse et la Malène. Le chemin est facile à trouver : il suffit de se diriger vers le nord.

Nous franchissons à son origine l’une des branches du beau ravin boisé et rocheux des Bastides, le seul ravin du causse Méjan contenant un ruisseau, puis nous traversons de grands bois de pins mamelonnés, des landes pierreuses ; à droite, à gauche, sont des mamelons, parfois boisés, ou des dépressions, des stochs, à peine cultivés. Ce n’est pas aussi âpre que la partie orientale du causse Méjan, mais c’est également un désert ; presque tous les hameaux sont échelonnés sur le bord du causse qui regarde le cagnon du Tarn, et de Saint-Pierre à Rieisse nous ne rencontrons pas une seule maison, pas un seul habitant.

À midi et demi nous étions sur le sommet du Traponnet (1 005 mètres), gros mamelon assez bien déterminé. La vue est superbe, sur le cagnon du Tarn, du Rocher de la Malène au grand tournant de Pougnadoires, et surtout très intéressante sur le causse Méjan et sur le causse de Sauveterre ; plus loin, en amont du Tarn, se dresse le signal de Rausas (1 019 mètres) qui domine toute cette partie du causse ; au delà des grandes tables des causses se montre à l’horizon une partie de l’Aubrac et de la Margeride. Nous restons là près d’une heure, puis nous descendons vers Rieisse, dont nous apercevons les maisons ; et nous arrivons à la route de Saint-Prejet à Florac.

Des bois, quelques cultures dans les dépressions environnent le hameau. À deux heures nous sommes à Rieisse (941 mètres), et, prenant le sentier pierreux tracé en lacets dans le ravin boisé de Rieisse, nous descendons rapidement au milieu des pins, des buis et des hêtres, vers le Tarn, que nous voyons briller sous nos pieds à 500 mètres de profondeur. Le sentier serpente d’abord sur la rive gauche, puis sur la rive droite de ce ravin sans eau. À mesure que nous descendons, la vue devient de plus en plus belle. Voici la Malène et son grand rocher, puis tout le cagnon jusqu’à Pougnadoires ; plus bas nous voyons en aval se développer l’hémicycle des Baumes. C’est grandiose, et le spectacle est si beau, si varié, que nous ne pensons pas à la raideur des pentes. Bientôt nous arrivons presque au niveau du Tarn, les bois disparaissent et nous longeons la rive gauche de la rivière, nous passons devant la fontaine de la Galène, et au pont nous trouvons la route qui monte au Mas Saint-Chély. Nous traversons la rivière, et à deux heures quarante-cinq minutes nous entrons à la Malène.

Le soir même j’étais de retour aux Vignes, ayant vu le soleil couchant flamboyer dans le cirque des Baumes.


Cette fois nous irons des Vignes au Rozier en bateau. J’ai pour bateliers Gall, le meunier, et son oncle Pierre Gall, dit Saint Pierre, les deux plus fins bateliers des Vignes. À une heure après-midi je m’embarque près du pont de Saint-Prejet. Pierre Gall est à l’avant, son neveu à l’arrière ; la barque, peu chargée, file sur le planiol des Vignes, tout ensoleillée. Au delà du petit bassin des Vignes, les talus deviennent moins larges : les falaises hautes de 500 mètres se rapprochent, et il n’y a souvent que 1 200 à 1 500 mètres de distance entre les bords des deux causses, mais nous allons droit au sud, et ce long défilé, qui serait lugubre sans le soleil, est la partie la plus lumineuse du cagnon du Tarn.

Là commencent les rapides encombrés d’écueils, sur lesquels l’eau vient se briser et rejaillir en écume. C’est plaisir de voir la sûreté de coup d’œil, la dextérité de main des deux bateliers donnant un coup de gaffe à droite, un coup de gaffe à gauche, puis laissant filer le bateau qui, sous leur habile direction, zigzague de chenal en chenal, de crochet en crochet, Pierre Gall est à l’avant et je vois bien tous ses mouvements ; à terre, avec sa casquette moulée sur la tête et laissant passer quelques mèches de cheveux frisés, avec sa barbe grise un peu inculte, sa taille un peu courbée, il ne représente pas beaucoup ; à « son bord », au milieu des rapides, il est superbe ; tout de suite on est pris de confiance, on sent qu’il est maître sur sa rivière ; pas un geste inutile, pas un faux mouvement : un coup de gaffe, et l’obstacle est franchi.

Entre deux rapides, regardons un peu autour de nous. Sur le sentier que nous avons d’abord suivi, nous voyions surtout de face les falaises ; du lit de la rivière nous les voyons surtout de profil, et les dentelures de leur faîte se découpent mieux sur le ciel, tandis que leurs avancées et leurs rentrants se mirent dans les planiols ; puis l’image se trouble et disparaît à l’approche du rapide, pour reparaître un peu plus loin. Sur un haut piton du causse Méjan, sorte d’avancée de la paroi, se montrent les ruines du château de Blanque-