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Voici à gauche, sur une plate-forme d’un promontoire du causse de Sauveterre, au milieu de vignes et de vergers, Prades de Tarn et son lourd château qui, bravement défendu par Fages, prieur de Sainte-Énimie, empêcha le capitaine Merle d’aller piller les richesses du monastère. Le prieur fut blessé au bras, mais les huguenots ne purent passer. Au pied du rocher qui porte Prades se trouvent une belle source, un moulin et un barrage.

Ici la nouvelle route de voitures cesse et fait place à l’ancien chemin, très praticable aux voitures, mais beaucoup trop étroit et n’ayant que peu de paliers d’évitement ; si la route est médiocre, le paysage devient de plus en plus beau. Ce ne sont plus seulement les rochers du causse Méjan qui attirent le regard, ce sont aussi les tours, les aiguilles, les escarpements du causse de Sauveterre émergeant de bouquets de noyers, de châtaigniers, d’amandiers ; çà et là on voit à ses pieds miroiter les eaux vertes du Tarn, souvent cachées par les vernes et les peupliers. Sur la rive gauche on aperçoit, au-dessus des feuillages, le beau rocher des Écoutaz. Si vous aimez les échos, descendez vers le Tarn, et à mi-côte interrogez la muraille : elle répétera nettement vos paroles. Aimez-vous les beaux sites : allez alors jusqu’au bord de la rivière, et vous serez charmé. Nous la verrons mieux encore en remontant le Tarn en bateau.

Voici la Tiaulas, grand rocher rouge qui plonge dans la rivière et qui, taillé en plate-forme, avec ses grandes masses rouges évidées en encorbellement, forme un beau lieu de halte. Ici se découvre le beau tableau de Sainte-Énimie.



II. Sainte-Énimie.


Restons un instant à la Tiaulas : au premier plan, entouré de verdure, est une jolie nappe d’eau formée par un barrage, puis un large pont du dix-septième siècle ; au-dessus, sur les pentes des deux rives, la petite ville de Sainte-Énimie. À gauche, un ravin couronné d’arbres, dans lequel grimpe la route de voitures du causse Méjan ; à droite, dominant le beau courant d’eau de la célèbre fontaine de Burle, se montre un grand bâtiment qui a remplacé l’antique monastère en partie détruit ; plus haut, plaqué contre une falaise rouge, le petit ermitage tout blanc de Sainte-Énimie, et, plus près, une partie du grand ravin du Bac, escaladé par la route de voitures du causse de Sauveterre ; entre les deux causses, au milieu de vergers, de bouquets d’arbres, de vignes, le Tarn qui brille au soleil ; au loin en aval les hauteurs qui font face à Pougnadoires ; en amont et tout près, les grandes roches façonnées en tours et en aiguilles de Prunet. Par le soleil, le site est charmant et magnifique ; par l’orage, il devient terrible.

Je me souviendrai toujours de ma première impression en 1879, lorsque, descendant les lacets du ravin du Bac au milieu des lavandes, des vergers en terrasses, des escarpements rocheux, je vis tout à coup sous mes pieds, au fond d’un abîme, les toits couverts d’ardoises de Sainte-Énimie au centre de toutes ces roches rouges qui semblaient flamboyer sous le soleil. J’avais grand soif ; ayant traversé le causse en plein midi, je voyais l’eau sous mes pieds, mais j’oubliai ma soif et je prolongeai la descente, tant c’était à la fois imprévu, beau et étrange, « J’ai vu une ville dans un puits », a dit un ancien visiteur[1]. C’est parfaitement juste : seulement il faut dire que le puits est fort large. En 1793 Sainte-Énimie fut nommée Puits-Roc : le nom, cette fois, était bien choisi.

Sur la hauteur de Sainte-Énimie. — Dessin de Vuillier, d’après nature.

L’arrivée par le causse Méjan est moins intéressante, et l’on fera bien, je crois, de se rendre à Sainte-Énimie soit par Ispagnac, soit par la route de Mende et le ravin du Bac, et non par Meyruis ou par Florac.


L’histoire de l’origine de la petite ville est curieuse et mérite d’être racontée :

« Le sang de l’illustre maison des rois très chrétiens de France coulait dans les veines de la bienheu-

  1. On a appliqué à Sainte-Énimie ce mot de Sidoine Apollinaire, lors de son voyage de Clermont à Saint-Laurent de Trèves.