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2 LE TOUR DU MONDE.

couragerais bientôt et reviendrais après quelque peu de séjour à Zanzibar. »

D’autre part plusieurs officiers supérieurs qui voulaient bien me témoigner quelque intérêt, ne se gênaient pas pour me dire que je comprometlais ma carrière.

Ma pauvre tête se perdait dans ce dédale, mais une grande entreprise engendre heureusement de grandes résolutions. Quoique j’aie vraiment souffert de cette Opposition, je n’ai pas été ébranlé un seul instant.

Avant de poursuivre, je veux dire ici un mot de mes projets.

Sans but nettement défini, quand je commençai à m’occuper du noir continent, je me proposais de l’attaquer un peu dans toules les directions ; le Niger, le Nil, le Zambèze et le Congo s’étaient tour à tour partagé mes attraclions. Chaque voyageur, prêchant pour son saint, aime à présenter Le pays qu’il a vu sous son aspect le plus chatoyant. Caillé et Mungo-Park nvavaient bien longtemps fait rêver de Tombouctou ; Barth et Overweg du Tchad, Baker du Nil, etc. L’Afrique du Nord néanmoins m’aitirait peu. Si je recherche volontiers la difficulté, l’obstacle à surmonter, je n’aime pas à risquer l’impossible, et dans ces luttes perpétuelles avec les Maures, les Touareg, les tribus du Soudan, l’Européen se trouve matériellement dans des conditions de trop d’infériorité. A moins d’être un Caillé, il faudrait commander toute une expédition militaire pour traverser, avec quelques chances de succès, ces populations fanatiques ; or, comme on peut bien le croire, plusieurs raisons m’empéchaient de songer à une expédition pareille.

L’Afrique tropicale m’attirait bien plus, et la fin sublime de Livingsione dans les marais du Bangouéolo me ramenait à chaque instant vers ces parages : je m’arrêtai donc à l’exploration de ce lac, qui devint bientôt le but principal de mon voyage.

Le lac Bangouéolo se trouvant en plein centre du continent, à égale distance des deux côles, je pouvais l’atteindre en partant soit de Zanzibar, soit de Saint-Paul de Loanda, les seuls points, à peu près, où l’on puisse équiper une grosse caravane pour l’intérieur.

Ma croisière sur la côte ouest m’avait laissé une assez triste opinion des populations de ces contrées, abruües pur l’eau-de-vie de iraiie et l’absinthe et qu’on emmène difficilement loin des factoreries. Cette raison et plusieurs autres me décidèrent pour Zanzibar, dont la population est plus habituée à ces longs voyages.

Après la circumnavigation du Bangouéolo, celle du

Moéro s’imposait à mon programme. Livingstone fai- :

sait sortir la Louapoula au nord du lac, il me serait donc aisé de passer de l’un à l’autre, appuyé par ma caravane qui, longeant la rive droite, m’aiderait à descendre les rapides et les cataractes,

À partir de Moéro mon itinéraire devenait incertain ; il m’était difficile de prévoir la nature des obstacles que j’aurais à surmonter, ni comment je supporterais lies preuières épreuves. Mais J’étais assuré tout au


moins de pouvoir rayonner dans toutes les directions sans sortir des parages inexplorés, et, à tout événement, je prendrais telle ou telle décision commandée ou indiquée par les circonstances.

II

Le 9 juillet 1888, à Marseille, sur le pont du Jemna, je serrai la main des parents et amis qui avaient tenu à m’apporter jusque-là leurs derniers souhaits,

Le 25 août, après une traversée assez maussade de quarante-cinq jours, nous jetions l’ancre dans le port de Zanzibar !.

Il me fallut engager dans cette ville :

Treize hommes pour mes caisses ;

Cinq hommes pour lits, tentes, tables, objets di-Vers ;

Dix hommes pour les cartouches ;

Soixante-cinq hommes pour les charges d’étoffes et de perles ;

Huit chefs ;

Vingt hommes pour mon bateau.

En tout, cent vingt et un hommes.

Le transport de mon bateau m’avait obligé d’atteindre ce chiffre, malgré la difficulté, facile à prévoir, de se procurer toujours des vivres pour lant de personnes.

Comme armement, j’avais : vingt-cinq fusils Gras, soixante fusils à percussion, quatre mille cartouches Gras et trois barils de poudre,

Mon bateau était construit en acier doux avec les formes d’une baleinière et mesurant sept mètres cinquante de longueur sur un mètre cinquante de largeur, Pour en faciliter le transport à dos d’homme, je l’avais fait couper en cinq sections, trois grosses au milieu, pesant chacune quatre-vingts kilogrammes, et deux petites, de cinquante kilogrammes chacune.

J’avais demandé un seul mât sur l’avant avec une voile latine : c’était peu élégant, mais ce serait commode à manœuvrer, Le bateau n’arriva que deux jours avant mon départ de Zanzibar, au moment où, désespérant de jamais le voir, j’allais me meitre en route sans lui. J’abandonnai pour m’alléger le mât, la vergue, les bancs et les boiseries, toutes choses qu’il me serait facile de refaire en route quand le moment viendrait de m’en servir.

Le 15 décembre au soir, tout mon personnel et mon

  • matériel se trouvaient à bord du Boursaint, dont le

commaudant, M. Boutet, avait obligeamment consenti à me conduire à Dar-es-Salam et qu’avait bien voulu accompagner notre consul général, M. Ledoux,

Le 17 décembre 1882, aux premiers rayons du soleil, le Boursaint levait l’ancre et, après quelques heures de traversée sous le soleil brülant qui éclaire le canal,

1. M. V. Giraud a écrit à la suite de ces lignes une étude très complète sur Zanzibar ; nous l’omettons, quoique à regret, Zanzibar ot sa presqu’île ayant été déjà décrits plusieurs fois dans le Tour du Monde, (Voyez notanunceut ies tomes E, ii et Li.)