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aujourd’hui séparées par le desséchement graduel des terres environnantes.

Les sauterelles, qui ont si souvent dévoré les récoltes des fellahs égyptiens et barbaresques, exercent : leurs ravages dans le Nouveau-Monde jusqu’à des latitudes très-septentrionales. Écloses dans les immenses plaines inhabitées et privées de pluie qui s’étendent des Llanos estacados du Texas à la branche sud du Saskatchewan, elles envahissent, parfois en nombre immense, les prairies de la Rivière Rouge et de l’Assiniboine, dévorant tout sur leur passage, et déposant dans le sol une progéniture qui recommence au printemps suivant les mêmes dévastations. Mais avec le progrès de la colonisation dans les territoires de l’Union américaine où sont procréées ces légions d’impitoyables ravageurs, avec l’accroissement de la population qui permettra d’employer, comme en Algérie, un grand nombre de bras à la destruction des œufs et des insectes adultes, on parviendra certainement, sinon à annuler, du moins à atténuer le fléau.

Il nous reste à parler des feux de Prairies, favorisés par les sécheresses de l’automne, qui transforment le tapis vert émaillé de fleurs du printemps en un océan de foin sec et jauni. Qu’un Indien, qu’un chasseur laisse tomber une étincelle de son briquet, que le vent emporte loin du foyer des bivouacs un brin de paille allumé, et des milliers d’hectares seront en quelques heures dévorés par la flamme. Malheur au voyageur surpris par ces vagues brûlantes, s’il n’a pas eu la présence d’esprit ou les moyens d’allumer immédiatement un contre-feu. Quant aux bestiaux, aux chevaux surtout, qu’une sorte d’étonnement stupide semble empêcher de fuir, c’est par milliers qu’il faut compter chaque année ceux dont les propriétaires ne retrouvent que les os carbonisés. Des pénalités sévères ont été édictées contre les auteurs de ces vastes incendies, volontaires ou non. Mais, mieux que toutes les lois possibles, le morcellement des terres de culture et l’emploi chaque jour plus fréquent des faucheuses mécaniques, enlevant à la flamme l’épais manteau de foin qui lui servait d’aliment, sont appelées à supprimer, dans un avenir prochain, cette dernière cause de ruine, au moins dans le voisinage des régions colonisées.

Examinons sans parti pris la valeur que représente pour le peuple canadien l’immense contrée qui formait, sous l’administration de La baie d’Hudson, le département du Nord-Ouest.

Ce territoire, qui s’étend du 49e parallèle à la mer Glaciale, du 90e degré de longitude occidentale (méridien de Greenwich) aux Rocheuses, comprend environ 465 millions d’hectares. Mgr Taché, dans son Esquisse, que ses compatriotes ont parfois accusée de pessimisme, mais dont j’ai été à même de vérifier sur bien des points la parfaite exactitude, en retranche tout d’abord les deux tiers pour ce qu’on appelle les « Barren Lands », terres glaciales désolées, rocheuses et dénuées de végétation arborescente, destinées, selon toute vraisemblance, à rester le domaine des Indiens pêcheurs, des Esquimaux et des chasseurs de fourrures. Un fait curieux, c’est qu’une diagonale tirée de l’extrémité sud-est du pays jusqu’au mont Trafic, situé vers l’intersection du 64e degré de latitude nord avec le 128e méridien à l’ouest de Greenwich, sépare à peu près exactement la portion utilisable du pays de celle qui est et restera probablement stérile.

Dans la première partie elle-même, il y a lieu, suivant lui, de distinguer trois parties bien distinctes : le Désert, la Prairie, la Forêt.

1e Le Désert, zone sans pluies, continuation de la région de même nature existant aux États-Unis, qui pénètre sur le territoire britannique au point d’intersection du 49e parallèle avec le 100e degré de longitude, s’avance, en suivant une direction générale nord-ouest, jusqu’à la rencontre du 52e parallèle et du 113e degré de longitude, et se replie ensuite vers le sud, jusqu’au pied des montagnes Rocheuses, « formant, dit l’Esquisse sur le Nord-Ouest, une superficie d’au moins 15 500 000 hectares ; » il est impossible de songer à y former des établissements considérables. Presque partout un sol aride ne voit croître que le foin de prairie (systeria dyctaloides). Une petite lisière de sol d’alluvion marque les cours d’eau, qui sont desséchés presque toute l’année. « Le foin de prairie offre, dit Mgr Taché, un excellent pâturage. Non-seulement le bison en fait ses délices, mais les chevaux et autres bêtes de trait en sont très-friands. Cette herbe, haute à peine de six pouces, dent les plants sont espacés de façon à laisser voir partout le sol sablonneux ou le gravier où elle croît, conserve sa saveur et sa force nutritive, même au milieu des rigueurs de l’hiver, au point que quelques jours en ces singuliers pâturages suffisent pour remettre en bon état des chevaux épuisés par le travail. À travers ce désert, cet océan de petit foin, on voyage des jours, des semaines sans apercevoir le moindre arbuste. Le seul combustible au service du voyageur et du chasseur est le fumier du bison, que nos métis appellent bois de prairie. »

2o Les Prairies, d’une étendue à peu près égale à celle du Désert, s’appuient d’un côté sur celui-ci, de l’autre sur la région des Forêts. Elles sont susceptibles de culture ; mais la colonisation n’y pourra que marcher à pas lents, de conserve avec le reboisement. « Vie à la saison des fleurs, la prairie est vraiment belle, émaillée comme elle l’est de couleurs diverses sur son fond de verdure. Malheureusement cette région si belle, surtout quand elle se transforme en prairie ondulée, participe à quelques-uns des inconvénients du Désert. Les vents contraires s’y livrent de rudes combats qui aboutissent à de brusques sautes de température, à des chutes d’énormes grêlons. »

3o Vient enfin la Forêt, comprenant de nombreuses clairières créées par l’incendie. Cette région couvre près de 125 millions d’hectares, dont près d’un quart pourrait être probablement utilisé pour la culture. Les