Page:Le Tour du monde - 35.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en toute hâte revenir de Rome, où il assistait au concile de 1870, l’évêque — aujourd’hui archevêque — de Saint-Boniface, Mgr Taché, dont la grande influence sur les métis pouvait contribuer puissamment à l’apaisement des esprits. L’évêque arriva malheureusement à Fort Garry quelques jours trop tard pour prévenir l’exécution de Scott ; mais rien ne fut retiré des promesses que lui avait faites le gouvernement d’Ottawa. Les délégués furent reçus comme les envoyés d’un gouvernement régulier, on leur renouvela la promesse d’une amnistie complète, et les conditions posées par eux au sujet de l’entrée du Nord-Ouest dans la Confédération furent acceptées par le parlement canadien lui-même.

Le district de la Rivière Rouge était érigé en province autonome sous le nom de Manitoba. Un lieutenant-gouverneur, des ministres responsables, deux chambres, l’une à vie, l’autre élective, y devaient assurer le régime parlementaire. Une subvention prise sur les finances de la Confédération devait pourvoir à la plus grande partie des dépenses provinciales jusqu’à ce que la population comptât quatre cent mille âmes. Les langues française et anglaise étaient placées sur un pied de parfaite égalité dans la législature et devant les tribunaux. Après le vote de cet acte, la métropole ne s’opposa plus au départ de l’expédition que devait conduire à la Rivière Rouge le colonel sir Garnet Wolseley.

Quant à l’amnistie, c’était une prérogative royale que la Couronne n’exerce d’ordinaire que sur l’avis du gouverneur général et de ses ministres responsables. Il paraît que ceux-ci hésitèrent devant l’impopularité qu’une démarche en ce sens devait forcément leur faire encourir dans le haut Canada, tout entier à son désir de venger la mort de Scott. L’amnistie promise ne fut donc point proclamée, mais sous main on faisait assurer Mgr Taché qu’elle le serait à bref délai. Aussi l’évêque s’opposa-t-il de toutes ses forces à la résolution prise un moment par les métis de combattre l’expédition canadienne, si son avant-garde n’était précédée de l’amnistie. Il réussit, et sir Garnet Wolseley arriva sans résistance devant Fort Garry.

Maison de M. Donald Smith, de la Compagnie de la baie d’Hudson. — Dessin de H. Clerget, d’après une gravure américaine.

Aucune poursuite judiciaire ne fut commencée. Bien plus, lorsque, l’année suivante, les fénians rassemblés dans le Minnesota menacèrent la nouvelle province, le lieutenant-gouverneur Archibald, homme conciliant et modéré, successeur du fameux Mac-Dougall, demanda et obtint pour repousser l’invasion le concours de tous les éléments de la population. Les métis français répondirent à son appel, et l’on vit le lieutenant-gouverneur serrer publiquement la main de Riel. Celui-ci donna encore une autre preuve de son abnégation en renonçant au mandat de représentant aux Communes fédérales que voulaient lui conférer les électeurs d’un des comtés français de Manitoba, celui de Provencher[1]. Il désigna lui-même aux suffrages de ses partisans le ministre fédéral de la milice, sir George Cartier, qui venait d’être rejeté par la ville de Montréal.

Et l’on attendait toujours l’amnistie !

Aussitôt après la mise en vigueur de l’acte de Manitoba, on avait vu tomber à Winnipeg une avalanche d’Irlandais en quête de positions sociales. Plusieurs

  1. La province de Manitoba nomme quatre députés au parlement fédéral. Elle à été, par conséquent, divisée en quatre districts électoraux ou comtés. Deux portent des noms anglais : Selkirk a reçu le nom du fondateur de la colonie ; Lisgar, celui du gouverneur général du Canada au moment de l’annexion. Deux ont des dénominations françaises : Marquette, en l’honneur du Père jésuite qui, au dix-septième siècle, explora le premier, avec le Canadien Joliet, les bords du lac Supérieur, le haut Mississipi et la Rivière Rouge ; enfin Provencher perpétue le souvenir du premier évêque catholique de Saint-Boniface. Récemment le pays a été partagé en treize sous-comtés, destinés à devenir des comtés lorsque le permettra le nombre de leurs habitants.