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time à M. William Mac-Dougall l’ordre de ne pas entrer sur le territoire du Nord-Ouest sans une permission spéciale du comité.

« Par ordre du président John Bruce,
« Louis Riel, secrétaire.
« À monsieur Mac-Dougall. »

À la lecture de l’ « ordre » du comité, M. Mac-Dougall parut fort étonné et s’exprima en termes très-méprisants sur cette impertinence de « sauvages », comme il appelait dédaigneusement les petits-fils des trappeurs canadiens et des femmes indiennes ; toutefois, ses compagnons lui ayant proposé d’aller s’assurer de la réalité des dispositions hostiles ainsi manifestées par les métis, il laissa MM. Provencher et Cameron partir en avant. Ces messieurs arrivèrent jusqu’à la rivière Sale, à 80 kilomètres au nord de Pembina ; mais à ils trouvèrent la route barricadée et gardée par quatre cents métis bien armés à pied et à cheval, Provencher, arrêté sans autre forme de procès, passa vingt-quatre heures enfermé dans l’église de Saint-Norbert, s’attendant à être fusillé, ce qui heureusement n’entrait pas dans le programme des insurgés. Relâché le lendemain, il retourna annoncer au gouverneur l’insuccès de sa mission, et celui-ci dut s’installer dans une masure située à Pembina, sur le territoire américain, où, tout ex-ministre qu’il fût, il passa l’hiver dans des conditions de confort qui le firent surnommer The frosen William, — Guillaume le Morfondu.

Les Canadiens immigrés ayant alors essayé de soulever la population de langue anglaise, les métis, pour les prévenir, occupèrent le Fort Garry, et s’y fortifièrent (3 novembre 1869) tout en protestant de leur respect pour le gouverneur Mac-Tavish qui représentait encore l’autorité de la Compagnie. Le 16 novembre, le comité national convoqua à Fort Garry une convention de vingt-quatre délégués choisis en nombre égal parmi les habitants anglais et français. Les métis écossais, sans vouloir aller aussi loin que les métis français, restèrent sourds aux excitations de ceux qui les sollicitaient de prendre les armes contre le comité.

Un métis français. — Dessin de P. Sellier, d’après une photographie.

Réduit à ses propres forces, le parti canadien anglais tenta une première échauffourée qui se termina par le siége de la maison du docteur Schultz et l’emprisonnement de ses partisans ; ce fut alors que M. Mac-Dougall se laissa entraîner à un acte qui lui attira par la suite le plus humiliant désaveu. De sa propre autorité, et sans attendre des instructions d’Ottawa, il lança au nom de la reine une proclamation qui mettait fin au gouvernement de la Compagnie de la baie d’Hudson et réunissait tout le Nord-Ouest au Canada. Il alla, dans son aveuglement, jusqu’à solliciter contre des sujets britanniques le concours des plus sanguinaires d’entre les sauvages, les Sioux, auteurs des massacres du Minnesota, dont une bande, réfugiée depuis 1862 sur le territoire britannique, vivait près de Portage la Prairie.

La mesure était comble : le comité national réitéra son refus de reconnaître les pouvoirs de M. Mac-Dougall, et, le 8 décembre, considérant que la dépossession du gouvernement de la baie d’Hudson, jusqu’alors la seule autorité légale dans le Nord-Ouest, laissait le pays exposé à tous les dangers de l’anarchie, il se constitua en un gouvernement provisoire. Louis Riel fut proclamé président le 27 décembre à la place de John Bruce. Un Irlandais, nommé O’Donohue, quelque peu suspect de fénianisme, fut son ministre de l’intérieur ; un métis, Ambroise Lépine, son adjudant général. Comme à tout gouvernement, même provisoire, il faut un pavillon, on décida d’adopter des couleurs rappelant l’origine du peuple métis et l’on choisit… le drapeau blanc fleurdelisé au milieu duquel, sans doute pour complaire à O’Donohue, on plaça la harpe d’Irlande ; et voilà comment, en l’an de grâce 1870, le drapeau blanc et les fleurs de lis furent, dans un coin reculé de l’Amérique du Nord, l’emblème d’un mouvement révolutionnaire.

Au Canada, la nouvelle de ces événements produisit la plus vive émotion. M. Mac-Dougall fut réprimandé, et des commissaires, parmi lesquels deux Canadiens-Français, MM. Thibault et de Salaberry, furent envoyés pour s’aboucher avec le nouveau gouvernement, dont on reconnaissait par là implicitement l’existence de fait. M. Donald Smith, de la Compagnie de la baie d’Hudson, obtint qu’une assemblée plénière des