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comme leurs voisins les Yankees, mais imbus d’un fanatisme religieux et national fomenté et entretenu par les nombreuses sociétés orangistes, les habitants de cette province voyaient dans la colonisation du Nord-Ouest par leur race le moyen d’asseoir définitivement la prépondérance de l’élément anglais et protestant dans la confédération. Aussi les meneurs du haut Canada, maîtres de la majorité dans le ministère fédéral, affectaient-ils un profond dédain pour les droits, les sympathies, les intérêts des « Half Breeds » ou sang-mêlés français de la Rivière Rouge. Une opposition sérieuse de la part de ces « demi-sauvages » leur paraissait la plus invraisemblable des éventualités. Avant même que l’arrangement conclu avec la Compagnie de La baie d’Hudson fût ratifié à Londres, on envoya à la Rivière Rouge, sous le commandement d’un certain colonel Dennis, des arpenteurs canadiens chargés de désigner l’emplacement de settlements futurs. De consulter les gens du pays sur l’opportunité du transfert, il n’en avait jamais été question ; mais ce qui devenait plus grave, c’est qu’on ne paraissait pas vouloir les consulter davantage sur l’installation des nouveaux colons pour lesquels on arpentait des terres dont les métis prétendaient avoir la jouissance de temps immémorial. Une inquiétude sourde d’abord, bruyante ensuite, se manifesta dans le pays. Des conciliabules furent tenus dans lesquels Louis Riel, jeune métis de vingt-six ans, élevé au collège de Montréal, ne tarda pas à se faire remarquer par la vivacité de son langage.

Maison du gouverneur Mac-Dougall, à Pembina (voy. p. 268). — Dessin de H. Clerget, d’après une gravure américaine.

En octobre 1869, la nouvelle se répandit qu’un gouverneur canadien allait arriver, M. W. Mac-Dougall, connu de longue date comme un adversaire déclaré de l’élément français. Avec M. Georges Brown, son chef de file, il avait fait partie du ministère de coalition qui prépara l’acte de la confédération des provinces. C’était un homme vaniteux, cassant, plein de préventions nationales et religieuses contre les métis et complétement dominé par les chefs de la bruyante minorité ultra-canadienne de la Rivière Rouge, tous gens qui comptaient trouver leur lot dans le gouvernement et l’administration du Nord-Ouest. Le docteur Schultz, aujourd’hui député aux communes du Canada, était le chef de ce petit parti aussi hostile aux métis qu’à la Compagnie de la baie d’Hudson.

M. Mac-Dougall arrivait escorté de tout un personnel dans lequel figurait un seul Canadien-Français, l’ami Provencher. On avait embarqué l’ex-journaliste dans cette galère orangiste, pensant que sa parenté avec le premier évêque catholique romain de Saint-Boniface, Mgr Provencher, dont le souvenir vivait encore parmi les métis, exercerait une influence salutaire sur l’esprit des gens de langue française.

À la nouvelle d’une nomination qu’ils considérèrent comme une menace et une provocation, les métis, déterminés à s’opposer, même par la force, à toute tentative de changement, tant qu’on n’aurait pas nettement défini et consacré leurs droits ultérieurs, constituèrent un comité national. Un Bois-Brûlé écossais, nommé John Bruce, en fut acclamé président, avec Louis Riel pour secrétaire. On dépêcha à Pembina au-devant de M. Mac-Dougall un messager qui remit à l’aspirant gouverneur une notification rédigée en français, dont voici la teneur textuelle.

« Datée à Saint-Norbert, Rivière Rouge,
ce 21e jour d’octobre 1869.
« Monsieur,

« Le comité national des Métis de la Rivière Rouge in-