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ques gouttes de sang orcadien[1], tantôt pêchant et coupant du bois, tantôt dirigeant leurs légers canots d’écorce. Toutefois, si les avantages de la pêche et des récoltes faciles les attirent en grand nombre, durant la belle saison, sur les îlots du lac, une crainte religieuse paraît empêcher la plupart d’entre eux de s’y fixer d’une manière permanente. « Le lac des Bois, dit le capitaine Butler dans son livre, The Great Lone Land, est respecté des sauvages comme la demeure favorite du Grand Esprit ou Manitou. Les roches étrangement évidées par l’eau qui les mouille et les frappe, les îles dont la pierre à pipe tendre a fourni tant de calumets, les curieux blocs minéraux qui reposent sur des roches polies, les sommets souvent foudroyés par l’orage, les lézards qui fourmillent dans les îles tandis qu’ils sont très-rares ailleurs, il en fallait moins pour faire du lac des Bois le site principal des légendes et des superstitions qui terrorisent l’Indien de cette contrée. Il y a des îles où les sauvages n’osent mettre le pied, parce que le Mauvais Esprit y réside ; il est des promontoires où il faut apaiser le Manitou par des présents, quand le canot glisse au pied de leurs falaises désertes ; enfin certains lieux sont gardés par le Grand Kennebic ou Grand Serpent, monstre qui veille jalousement sur des trésors. »

Une île du lac des Bois.

Un vieux chef se trouvait là ; il nous salue d’un b’jou ! b’jou ! qui est évidemment l’abréviation de notre « bonjour », et, assis sur une pointe de rocher, il entame avec M. Pethers une longue conversation que j’écoute avec recueillement, non pas que j’aie la prétention d’en comprendre un traître mot, tant s’en faut ; mais j’éprouve un certain plaisir à me rendre compte de l’euphonie de l’idiome chippewa. Après moins d’un quart d’heure d’audition, j’arrive à conclure que cette langue est essentiellement douce et musicale. Les accentuations s’y succèdent avec un rhythme cadencé rappelant assez bien l’harmonie de la langue hongroise, que j’avais si souvent entendu parler à Naples par Les légionnaires magyars au service de l’Italie.

À un ou deux milles environ de North West Angle (l’Angle Nord-Ouest), l’eau devenant trop basse pour notre vapeur, les chaloupes du poste vinrent nous chercher. Là M. Pethers, pressé d’arriver à Fort Garry, m’offrit de partager sa voiture ; j’acceptai avec empressement, et le lendemain, de bon matin, nous

  1. Les îles Orkneys, au nord de l’Écosse, ont toujours fourni la plupart des employés non canadiens de la Compagnie de la baie d’Hudson. Dans le Nord-Ouest, la plupart des métis classés comme « English » ou « Scotch Half breeds » pourraient être plus exactement encore appelés « métis orcadiens ».