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geur abonde périodiquement dans tout le Nord-Ouest, il s’y trouve parfois en quantité prodigieuse. Il ne faut pas être un bon chasseur pour en abattre une centaine en un jour à coups de fusil ; et au lacet on dépasse de beaucoup ce chiffre. Mais un fait singulier, c’est qu’il disparaît à peu près complétement de temps en temps, et, après ces disparitions presque totales, il se multiplie de nouveau, augmentant en nombre pendant une période de trois ou quatre années ; c’est l’abondance pendant un même laps de temps, puis de nouveau la disparition. Le lièvre d’Amérique est de tout point inférieur comme taille et comme goût à nos lièvres d’Europe ; sa fourrure sans solidité n’a aucune valeur commerciale : cependant les Indiens en tirent à la fois leur nourriture et leurs vêtements. Après avoir mangé la chair, ils divisent la peau en petites lanières qu’ils enlacent et tissent à la manière des étoffes, et se font ainsi des couvertures et des vêtements extrêmement chauds. Dans l’automne de 1868, ces précieux animaux disparurent presque entièrement depuis les montagnes Rocheuses jusqu’au Labrador ; dans le pays des Saulteux, ils furent, suivant l’expression de M. Dawson, littéralement balayés de la surface de la terre. Lors de l’hiver de 1870-1871, ils n’avaient pas encore reparu en nombre suffisant ; malgré les secours qu’apporta aux sauvages l’établissement de la route du lac des Bois, sur laquelle on en employa un grand nombre, on vit en maint endroit des enfants indiens, couverts seulement d’une mince guenille, marcher pieds nus dans la neige profonde, par des froids de trente à quarante degrés centigrades. Il en résulta une effrayante mortalité chez ces petits êtres, et cette année, si malheureuse pour nous, fut aussi « l’année terrible » des pauvres Saulteux.

Indiens Saulteux (voy. p. 246).

Vers la même époque, et à quatre cents lieues de , la colonie de métis ou « Bois-Brûlés » français, établie à Saint-Albert, près du fort Edmonton — celle que le capitaine Butler, dans son très-beau livre The Great Lone Land, appelait « la petite France de la Saskatchewan », — était ravagée par la petite vérole, qui enleva près du tiers de ses habitants — trois cents sur un millier. — Le capitaine Butler a consacré une page touchante à ce désastre, qui frappait la mission au moment où lui-même apportait aux missionnaires, presque tous « Français de France », la désolante nouvelle des malheurs de la patrie.

Le 2 septembre au soir, tandis que tout en devisant nous descendons le cours de la rivière la Pluie, le temps, qui, depuis Collingwood, s’était constamment main-