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Le canal franchi, nous rentrons pour quelque temps encore dans la rivière Sainte-Marie ; on la remonte jusqu’à la Pointe aux Pins. À cet endroit elle a 3 kilomètres à 4 kilomètres et demi de large, et l’évasement de plus en plus prononcé des côtes indique l’entrée du grand lac.

À ce moment un brouillard froid et intense s’est levé et nous environne de toutes parts. En attendant qu’il daigne se dissiper, nous descendons à terre et visitons le hameau de la Pointe, où vivent, disséminées dans de chétives baraques, une trentaine de familles indiennes et métisses. Je remarque entre autres un vieil Indien pur sang qui exerce vaillamment le métier de forgeron dans un hangar ouvert à tous les vents ; plus loin, dans une clairière, quelques-uns de ses compatriotes se livrent avec autant de gravité que d’adresse à la confection de leurs canots d’écorce de bouleau, légers esquifs que le sauvage et le « voyageur » canadien dirigent à travers lacs, rivières et rapides et qu’ils chargent allègrement sur leurs épaules pour franchir les portages.

Le pays aux environs de la Sainte-Marie paraît de beaucoup supérieur à tout ce que nous avons vu jusqu’ici sur la côte nord. Une lisière de terrain silurien recouvre les roches huroniennes jusqu’à une petite distance dans l’intérieur : et un vieux « voyageur » qui habite la Pointe aux Pins, avec sa femme indienne et ses enfants « bois-brûlés », m’assure que le climat et les productions y sont « quasiment ceux de Montréal ». Quelques cantons ont été arpentés et une centaine de fermiers, Écossais pour la plupart, se sont déjà établis sur les meilleurs lots.

Le Sault Sainte-Marie, vu de la rive américaine (voy. p. 231.) — Dessin de Th. Weber, d’après une gravure américaine.

Le brouillard s’éclaircissant quelque peu, nous reprenons enfin notre route : nous passons au large du cap Gros, énorme roc turriforme de mille pieds d’élévation, qui, avec le cap Iroquois, son vis-à-vis et son pendant sur la rive américaine, forme ce qu’Agazziz appelait les portiques du lac Supérieur. De là, laissant sur notre gauche l’île du Parisien, nous nous dirigeons sur la Pointe aux Mines et le cap Gargantua. Toute cette nomenclature géographique, datant des explorateurs du dix-septième siècle et scrupuleusement respectée par les cartographes anglais et américains, permettrait par moments au voyageur de se croire dans des eaux françaises.

Le 22, au soir, nous passons entre l’île de Michipicoten et la baie du même nom, où se jette une rivière qui ouvre la voie de communication la plus directe entre le lac Supérieur et la mer d’Hudson. Des officiers de la Compagnie de la baie d’Hudson ont souvent remonté dans leurs tournées d’inspection les lacs étagés que traverse le Michipicoten. Arrivés à la Hauteur des Terres, ils atteignaient par un court portage la rivière de l’Orignal (Moose River), qu’ils descendaient jusqu’à Moose Factory sur la baie de James, se reposant à New-Brunswick-House, un de leurs postes de traite situé à mi-route. Le trajet prenait environ cinq jours, pour plus de trois cents kilomètres. Dernièrement cet itinéraire a été repris par un parti d’explorateurs de la ligne du Pacifique canadien. Entre le Michipicoten et le Nipigon le littoral du lac Supérieur est un enchevêtrement sauvage de montagnes encore plus âpres que celles qui avoisinent le lac Huron. Il paraît bien prouvé aujourd’hui que le Pacifique devra passer à plus de vingt-cinq lieues au nord de ces rives inhospitalières, hors du territoire d’Ontario.

Dans l’après-midi du 23 août, nous nous engageons dans un étroit chenal entre la terre ferme et le petit archipel qui précède l’île Saint-Ignace. La cime de cette dernière s’élève à 400 mètres environ au-dessus du ni-