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gagné la côte occidentale, je sentis que ce qui avait été fait par un Arabe était possible à un officier de la marine anglaise.

Aussitôt donc que le Star fut désarmé, j’offris mes services à la Société géographique de Londres pour aller à la recherche de Livingstone ; on supposait alors que l’entreprise de M. Stanley avait échoué, J’arrivais trop tard : le chef de la nouvelle expédition était déjà choisi. On sait comment le retour de M. Stanley mit fin au voyage avant que la recherche proprement dite eût commence !.

Désappointé, mais gardant l’espoir d’obtenir plus tard la conduite d’une expédition du même ordre, je m’y préparai en étudiant le kisahouahili, langue de la côte répandue au loin dans l’intérieur. Un séjour de huit mois dans la mer Rouge pendant la guerre d’Abyssinie, et près de trois ans passés à la rive oricntale d’Afrique, la plupart du temps dans une barque non pontée, m’avaient appris ce qu’est la fatigue sous le climat tropical. Zanzibar m’avait familiarisé avec la fièvre, ct ce fut en pleine connaissance de cause qu’en juin 1872 j’oftris de nouveau de porter à Livingstone les objets qui pouvaient lui manquer, et de me mettre entièrement à son service. Mais il n’était pas queston alors d’envoyer à la rencontre de Pillustre voyageur.

Je proposait de me rendre au Victoria Nyanza par le Kilima Ndjaro, d’explorer le lac, de gagner l’Albert, puis le Loualaba, et de descendre Le Congo jusqu’à son embouchure.

Cette route est suivie actucllement aux frais du New-York I[erald et du Daily Telegraph par M. Stanley, l’un des voyageurs africains les plus éncrgiques ct les plus heureux. Puissions-nous apprendre bientôt que ses efforts ont été couronnés de succès | | ’

La Société de géographie n’accepta pas mon plan : mais il fut décidé qu’on emploicrait Le reliquat des

fonds souscrits pour la recherche de Livingstone à,

l’équipement d’une troisième expédition qu’on enverrait au grand explorateur, et qui, placée sous ses ordres , compléterait les découvertes qu’il poursuivait déjà depuis près de sept ans. J’eus le bonheur, cette fois, d’obtenir le commandement de l’entreprise, et de voir le docteur Dillon, chirurgien de marine, l’un de mes plus anciens amis, autorisé à m’accompagner dans ce voyage, pour lequel il résignait ses foncl 10ns,

Partis d’Angleterre le 30 novembre 1872, nous gagnâmes l’Égypte et alläâmes nous embarquer à Suez, sur l’Australia, qui nous déposa à Aden, où le gouverneur et tous les officiers nous firent l’accueil le plus cordial.

Le docteur Shepherd nous y donna un supplément de quinine, chose précieuse entre toutes, ou pour

1. Voy. Tour du Monde, L. XXV, p. 95 ; et pour plus de détails, Comment j’ai retrouvé Livingstone, par Henry M. Stanley. Paris, hbrairie Hachette, 1874. (Note du traducteur.)


mieux dire condition sine qua non d’un voyage en Afrique ; le docteur Badger nous obtint d’un santon, nommé Âlaouaï Thn Séid, une lettre qui nous recommandait aux soins de tous les bons musulmans, et qui fut le plus utile de tous nos papiers. Enfin le lieutenant Cecil Murphy, que nous trouvâmes à Aden, promit de se joindre à nous, si le gouvernement de l’Inde voulait bien Le lui permettre.

À Zanzibar, je fus tout d’abord cloué par la fièvre, qui m’avait pris un jour ou deux avant d’atterrir. Quand je fus assez rétabli pour m’occuper d’affaires, je trouvai une partie de nos approvisionnements faite par le docteur Dillon ; je me mis aussitôt à recruter des hommes, à chercher des ânes et à m’assurer les services de Bombay, l’ancien chef des fidèles de Speke !.

Nous pensions alors que son expérience le rendait pour nous d’une haute valeur ; mais si utile qu’il eût pu être jadis, il n’avait ni la décision ni les connaissances nécessaires pour nous diriger dans nos préparailfs. Son énergie avait d’ailleurs beaucoup baissé. Bref, il vivait sur son ancienne réputation, qui à cette époque nous cachait ses défauts.

Nous nous rendimes à Bagamoyo, où l’on eut pour nous beaucoup de politesse et de complaisance ; les missionnaires français nous témoignèrent mille attentions, nous envoyant des fruits,. des légumes, des choux palmistes, une fois même un quartier de sanglicr qui nous fit subir le supplice de T’antale : nous ne devinions ni l’un ni l’autre la manière de le faire cuire, et nos serviteurs ne voulaient pas toucher à cette viande impure.

Quelques jours après notre arrivée, le djémadar Issa, chef de toutes les troupes casernées sur cette partie de la côte, vint nous faire une visite avec une escorte nombreuse ; tous ses gens, sentant la crasse et la graisse, étaient tellement couverts de boucliers, de pistolets, de sabres, de lances, de mousquets, qu’ils avaient l’air d’avoir mis à sac les magasins d’un théäâtre de banlieue. Le capitaine de cette escorte imposante, le vieux djémadar Sebr, ne trouva pas au-dessous de lui de solliciter et de recevoir une gratification de quelques dollars ; le commandant ne le lui céda en rien sous ce rapport, sans préjudice de Ia requête habituelle d’un peu d’eau-de-vie — comme médicament. |

Il fut convenu séance tenante que, le lendemain, de bonne heure, Issa viendrait nous prendre pour nous conduire à Kaolé, où résidait ce vieux Sebr, auquel nous rendrions notre visite. Le lendemain matin, Issa n’arrivant pas, nous nous rendîimes chez lui ; nous le trouvâmes, comme à l’ordinaire, en tunique crasseuse. Il se coiffa aussitôt d’un turban aux vives couleurs, et s’entoura d’une écharpe dans laquelle 1l fourra un poignard, une dague, un revolver français finement doré, se chargeant par la culasse, mais pour lequel il

1. Voy. Tour du Monde, t. IL, p. 311, et tt. EX, p. 274.