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vingt-sept écluses la différence de niveau d’environ cent mètres que la rivière Niagara descend d’un lac à l’autre par des courants rapides et par le bond de son incomparable cataracte. Aujourd’hui le gouvernement canadien a entrepris d’élargir tous ces canaux de manière à en permettre le passage à des navires de mille tonnes. Ce travail considérable une fois terminé, l’immense bassin des grands lacs, Duluth, Milwaukee, Chicago, Détroit, seront les tributaires de Montréal, devenu leur entrepôt naturel.

Les Montréalais ont trop confiance dans l’avenir pour ne point l’escompter un peu. Aussi leur ville, comme une coquette ambitieuse, se compose-t-elle maintenant une parure assortie à ses futures grandeurs. Les rues y sont larges et bien mieux entretenues qu’à Québec, les magasins vastes et superbement ornés ; les institutions de crédit abondent, et quelques-unes des banques principales sont installées dans de véritables palais. Les maisons particulières elles-mêmes y affectent les prétentions architecturales des plus grandes cités du continent américain. Toutes les sectes y ont leurs églises, dont un bon nombre, avouons-le, sont bâties dans ce style hybride et désagréable, semi-gothique et semi-rocaille, qui fait la joie des cockneys anglo-saxous et le désespoir des véritables artistes. Dans cette débauche de bâtisses religieuses, le clergé catholique tient à ne pas se laisser distancer. Non content de posséder une cathédrale qui passe cependant pour l’une des plus belles de l’Amérique du Nord, l’évêque de Montréal a entrepris, à grands renforts de souscriptions, d’ériger une basilique nouvelle qui sera la réduction, mais une réduction grandiose encore, de la première des basiliques catholiques, de Saint-Pierre de Rome.

Pont Victoria. — Dessin de Riou, d’après une photographie.

À une ville si confiante en ses destinées, il fallait une promenade publique digne de son ambition. L’emplacement a été trouvé sans peine et peut hardiment soutenir la comparaison avec ce que les grandes métropoles d’Europe et d’Amérique possèdent de mieux en ce genre. Nous avons déjà parlé de la montagne — le Mont-Royal — qui domine la ville et lui a donné son nom. La magnifique avenue qui en fait le tour est devenue le rendez-vous favori, en été, des équipages et des cavaliers, en hiver, des traîneaux et des patineurs qui descendent la montagne. La montagne elle-même est aujourd’hui transformée en un parc anglais semé çà et là de villas élevées par les nababs montréalais. Du sommet, on jouit d’une vue admirable sur la ville « aux toits d’argent, » le Saint-Laurent, ses jolies îles et les campagnes de ses deux rives. Un autre site cher aux amateurs de « pique-nique » est l’île Sainte-Hélène, située vis-à-vis l’extrémité orientale de la ville et dont la plus grande partie est également disposée en parc. La pointe nord-est de ce joli îlot est fortifiée ; elle renferme les casernes occupées autrefois par la garnison anglaise et gardées aujourd’hui par un petit détachement de volontaires. Enfin, les amateurs d’excursions champêtres peuvent recourir pendant la belle saison aux nombreux bateaux traversiers qui entretiennent un va-et-vient continuel entre Montréal et les jolis villages de Saint-Lambert, de Longueil, de Laprairie, etc, situés de l’autre côté du grand fleuve.

Étant donnés les éléments très-hétérogènes dont se compose la population montréalaise, il ne faut pas s’étonner de trouver aux divers quartiers des physionomies très-différentes. À l’est habitent principalement les classes peu aisées de la population canadienne-française. C’est dans les quartiers du nord, les plus rapprochés de la montagne, que les riches