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brillantes étoiles de la société canadienne. Dans les parures, c’est la mode anglaise qui domine ; mais en s’approchant on entend bientôt le doux parler de France, qu’un accent tout particulier souligne sans le défigurer. On prétend que cet accent vient de la Normandie, patrie de la majorité des premiers colons. Récemment un Canadien écrivait que c’est à Chartres qu’il en a trouvé la plus exacte reproduction.

L’esplanade et les promeneurs. — Dessin de Ph. Benoist, d’après une photographie.

Un isolement de cent ans avec l’ancienne métropole a pour ainsi dire cristallisé jusqu’à ce jour le français du Canada et lui a fait conserver fidèlement les expressions en usage dans la première moitié du dix-huitième siècle ; mais ce serait une injustice de dire, comme l’ont fait certains voyageurs, qu’au Canada l’on parle le patois normand. Tous les mots, ou peu s’en faut, dont se sert le Canadien, se trouvent dans nos dictionnaires. Son langage est plus correct que celui qu’on parle dans nos petites villes.

Il y a quelques années, une forte garnison anglaise occupait Québec ; l’imposante citadelle, aujourd’hui ouverte à tous les curieux et gardée seulement par quelques volontaires, se dressait inaccessible aux profanes, hérissée de sentinelles et fière de son surnom de Gibraltar de l’Amérique du Nord ; les officiers de l’armée royale faisaient alors l’ornement de toutes les réunions, et l’anglais tendait chaque jour davantage à devenir l’idiome de la bonne compagnie. Aujourd’hui une réaction en sens inverse a commencé à se produire : les Canadiens anglais de Québec ne dédaignent plus, comme autrefois, d’apprendre notre langue ; et si le duc d’Édimbourg revient dans quelques années à Québec, il n’y trouvera probablement plus l’occasion de placer le piquant reproche qui faillit, dit-on, compromettre sa popularité chez la colonie britannique. Un soir, au bal du Gouverneur, le prince, s’approchant d’une jeune miss, lui avait adressé la parole en français. Celle-ci de s’excuser en alléguant son ignorance de cette langue. Surprise de son auguste interlocuteur, qui s’écria aussitôt : « Je ne comprends pas qu’une Canadienne ne sache point le français ! »

Du reste, les Québecois anglais jouissent, eux aussi, dans toute l’Amérique britannique du Nord, d’une réputation méritée de courtoisie ; et, de leur propre aveu, c’est à leurs constants rapports de bon voisinage avec leurs compatriotes d’origine française qu’ils doivent ces qualités aimables que l’on retrouve beaucoup moins fréquemment parmi les rudes pionniers anglo-saxons de la province supérieure. À mon humble avis, l’une et l’autre des deux grandes races