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marche, tant est pure la transparence de l’atmosphère sur ce plateau (dix-huit cents mètres d’altitude).

Ça et là, dans ce steppe, sont disséminés des villages autour desquels paissent de nombreux troupeaux. Le sol est bien cultivé. On y sème du froment de plusieurs espèces, du seigle et de l’avoine ; mais l’étendue du terrain est telle que plus des trois quarts en sont encore couverts de prairies et de marais.

Trois heures avant d’arriver à Erzeroum, on passe près du village d’Ilidja, où se trouvent des sources thermales sulfureuses renommées pour la guérison de la gale et des maladies honteuses, assez fréquentes dans ce pays.

A Ilidja, nous rejoignîmes la nouvelle route à laquelle on travaille activement. La voie est élevée d’un mètre ou d’un mètre et demi au-dessus de la plaine ; elle est bordée d’un fossé qui doit servir a l’écoulement des eaux.

La construction de cette route laisse beaucoup à désirer. Les terrassements sont irréguliers ; les fossés, trop petits, sont insuffisants, et tous les travaux. d’art, en général, sont inférieurs à ceux du, villayet de Trébizonde.

Je restai quinze jours à Erzeroum. Pendant ce temps, je fis plusieurs courses aux environs, et surtout dans le grand marais au milieu duquel passe l’Euphrate.

On traverse ce fleuve en plusieurs endroits, sur des ponts auxquels on arrive par des chaussées.

Pendant l’hiver, des oiseaux de toute sorte abondent dans ces marécages ; mais pendant l’été il n’y reste guère que des grues, des cigognes, des canards, les vanneaux, des hérons et plusieurs espèces de sternes.


VOYAGE AU THORTOUM.


XXVIII


Départ pour le Thortoum. – Les marais de l’Euphrate. – Bonne chasse. – Orages quotidiens. – Kara-Keuzec. – Sareh, chef-lieu du Thortoum. – La population et les productions de la vallée du Thortoum. – Thortoum-Kalessi. – Foret d’arbres fruitiers. – La polygamie. – Le lac.


Le 23 juin, je partis pour le Thortoum, vallée au nord d’Erzeroum. J’étais sorti de cette dernière ville vers midi ; à une heure et demie nous étions engagés dans le marais. Au loin, sur les côtés de la chaussée, les oiseaux aquatiques nous saluaient de leurs cris aigus ; devant nous, mais hors de portée, partaient les hérons bihoreau et les aigrettes ; des sternes et des mouettes voltigeaient au-dessus de nos têtes ; deux fois des canards casarca, qui se levaient du milieu des joncs à notre approche, tombèrent sous nos coups. Après deux heures et demie de route, nous passâmes sur un pont, et, à partir de ce moment, nous suivîmes les rives de l’Euphrate, que nous devions désormais remonter presque jusqu’à sa source.

Nous fumes surpris en route par un des violents orages si fréquents dans ces contrées. Le soir, sous une pluie battante, nous arrivâmes à Kara-Keuzec, grand village situé à six heures d’Erzeroum, au pied des premières montagnes de la vallée du Thortoum.

Au fond de cette vallée coule le Thortoum-sou, qui, suivant une direction nord, va mêler ses eaux à celles du Tschorock-sou à Beschanget.

Le 24 juin, à midi, nous entrâmes à Sareh ou Sarer, chef-lieu du canton de Thortoum, où le mudir, qui a quelques obligations au consul de France, nous reçut parfaitement bien et nous fit conduire dans une maison assez confortable d’où il fit déloger les habitants.

Un employé du fisc, en tournée de recouvrement, m’apprit que le canton de Thortoum, qui contient soixante-deux villages, est un pays excessivement pauvre ; les vallées profondes et escarpées qui couvrent la totalité de la contrée ne laissent qu’en de rares endroits un emplacement convenable culture des céréales.

Vingt-sept de ces villages, placés sur le haut des montagnes, sont exclusivement habités par des pasteurs ; les trente-cinq autres, situés sur les rives du Thortoum-sou, sont les seuls dont les habitants puissent récolter des céréales et entretenir des jardins fruitiers, où croissent surtout des pommiers, des poiriers, des cerisiers, des abricotiers, des mûriers blancs et rouges et des noyers.

on transporte, année moyenne, du canton de Thortoum, pour dix mille livres turques (deux cent trente mille francs) de fruits à Erzeroum.

Au fond de l’étroite vallée où est situé Sareh, et dans les quelques prairies qu’arrose le torrent, qui en certains endroits est bordé de saules et de peupliers, les fleurs sont nombreuses. Sous ces frais ombrages, je fis une précieuse collection entomologique.

Pendant quelques jours, j’explorai les environs ; mais je n’y vis de remarquable que les belles ruines du château de Thortoum (Thortoum - Kalessi), situées sur une colline escarpée, et qui semblent s’être détachées de la montagne et avoir glissé jusque dans la vallée. Le torrent qui coule de chaque côté l’isole complètement. La position, qui est formidable, fait penser que de tout temps ce rocher a dù servir d’assise à une forteresse, et je ne suis pas de l’avis des gens du pays et des auteurs qui en attribuent la fondation aux Génois.

Un conduit souterrain, qui descend à la rivière, servait sans doute en temps de siège aux défenseurs pour venir puiser de l’eau.

On m’avait parlé d’un grand lac que je devais trouver à quelques heures de Sareh ; je partis le 1er juillet pour le visiter.

En route, nous passâmes par plusieurs villages, au confluent de petits ruisseaux, qui descendent d’entre les gorges profondes et vont se jeter dans le Thortoum-sou. Ces villages, dont les vergers dérobent à la vue les maisons, sont de véritables oasis au milieu du chaos des montagnes arides. Le voyageur, brûlé par