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sent quelques peupliers et des saules, seuls arbres qui puissent pousser, à cette altitude de quinze cent cinquante mètres, au milieu de ces steppes arides où l’on ne voit de végétation arborescente que près des cours d’eau.

Les corbeaux, les choucas, les pies, qui pullulent dans la ville, sont d’une étrange familiarité. Ils entraient jusqu’au milieu de la chambre que j’avais louée dans un khan, et ils y prenaient sous nos yeux, sans façon, les débris de mon repas.

Beaucoup de milans et de grandes buses d’une espèce que je n’ai pu déterminer se promenaient aussi dans les rues. Je n’aurais en garde de tuer un seul de ces oiseaux de proie ; les habitants, assez fanatiques d’ailleurs, les respectent à l’égal des cigognes. Il est vrai qu’ils servent, ainsi que les chiens, à faire disparaître les immondices de la ville.

Les principales ressources de Baïbourt sont le commerce des céréales et celui des moutons. Le passage fréquent des caravanes est aussi une cause d’aisance pour le pays.

Aux environs, on ne voit ni arbres ni fruits. Les cerises que l’on vend à Baïbourt viennent d’Erzingham et de Gumuch-Khané.

Après un séjour de quarante-huit heures, je partis le 20 juin pour Erzeroum, situé à cent trente kilomètres au sud-est.

Nous suivîmes la route la plus courte, celle du Khochapounar ou Khodga-Pounhar. Nous fimes six heures de chemin en remontant le Tschorock-sou. Pendant la nuit, quoique nous fussions en été, il survint une forte gelée blanche. Le lendemain, nous croisâmes en route une caravane appartenant à un riche Persan. Elle se composait de plus de quatre cents mulets. La force de ces animaux m’étonna : ils portaient jusqu’à cent soixante et cent quatre-vingts oks (deux cents et deux cent vingt-cinq kilos) ; c’est le double de la charge ordinaire d’un cheval.


XXVI


Ascension du Khochapounar. – Source thermale. – Rencontre de la poste. – Un bon conseil. – Le point culminant de la route. – Descente. – Halte. – lnfluence d’un chapeau de feutre sur les brigands. – Heureuse nuit dans une prairie.


Vers dix heures du matin nous commençâmes l’ascension du Khochapounar. A mi-chemin coule une source thermale qui a dix-huit à vingt degrés de chaleur ; elle est légèrement sulfureuse.

Non loin de là s’étend un vaste plateau marécageux, où abondaient les chevaliers pieds-rouges et les bécassines. Les bergeronnettes mélanocéphales et plusieurs espèces de petits becs-fins venaient, à portée de nos mains, manger les mouches qu’attiraient nos chevaux.

Vers le milieu du jour, nous fîmes la rencontre, près d’un khan abandonné, du tchapar faisant le service de la poste de Téhéran à Constantinople. Il me conseilla, de la part de notre consul d’Erzeroum, de me bien tenir sur mes gardes, et de me hâter parce qu’on avait eu avis qu’une troupe de brigands dangereux errait dans ces parages.

Nous traversâmes pendant quelque temps une vallée très-élevée et peu profonde, tantôt large et marécageuse, tantôt étroite et pierreuse, qui nous mena au sommet du Khochapounar, à deux mille cinq cents mètres d’altitude. Mon drogman, qui avait déjà fait ce voyage, me fit remarquer en cet endroit, dans le lointain, un point noir que j’entrevoyais a peine, et qu’il m’assura être Erzeroum, dont nous étions cependant encore à quinze heures de marche. Perchés sur les pics volcaniques qui nous entouraient, les gypaètes, les vautours et les aigles, immobiles comme des figures de pierre, nous regardaient passer.

Le soir approchait, et jamais plus splendide spectacle ne s’offrit à mes yeux. Les silhouettes hardies de ces montagnes aux tons gris et violets sur lesquelles contrastait la blancheur des bandes de neige ; les lignes bleues de l’immense horizon qui se déroulait au loin sous mes pieds, concouraient à former un tableau d’une étrangeté et d’une grandeur incomparables.

Nous fîmes halte sur le bord d’un grand torrent, attirés par un excellent pâturage où nos chevaux trouvèrent une nourriture abondante.

Lorsque j’eus planté ma tente, le guide que j’avais pris le matin à Maden-Khan, et qui depuis la rencontre du tchapar de la poste craignait sérieusement d’être attaqué par les voleurs, me supplia de recharger mes armes et de placer au bout d’une grande perche mon chapeau de feutre, persuadé, me dit-il, que le respect et la peur qu’inspirent aux brigands les Européens (firenkzous) et leurs armes, les détourneraient de tout mauvais dessein.

Pour rassurer ce brave homme, je fis ce qu’il me demandait et je m’endormis en écoutant chanter les cailles. Les voleurs ne troublèrent pas notre sommeil, et, avant l’aube, nous nous remîmes en route afin d’arriver de bonne heure à Erzeroum, distant encore de onze heures de marche du village de Kochapounar, près duquel nous nous étions arrêtés. Pendant trois heures le chemin fait mille détours dans les montagnes de la chaîne du Kop-Dagh, dont les contre-forts vont en s’amoindrissant vers les bords d’une rivière, qui n’est autre que l’Euphrate et qu’on appelle ici Meïmansour-sou ; nous la traversâmes à gué, près du village qui lui donne son nom.


XXVII


L’Euphrate. – La plaine d’Erzeroum. – Limpidité de l’atmosphère à six mille pieds d’altitude. – Ilidja. – Eaux sulfureuses. – La route nouvelle. – Mauvaise construction. – Arrivée. – Erzeroum. – Le marais et les oiseaux qu’on y trouve.


Après avoir remonté la rive opposée, nous n’avions plus devant nous que la grande plaine qui nous séparait encore d’Erzeroum, très-visible dans le lointain, quoique nous en fussions à huit heures de