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une amertume extrêmes me prirent à la gorge, un frisson me parcourut tout le corps; jamais potion de quinine ou de coloquinte n’eut un goût si détestable. Cependant, pour me conformer aux habitudes du pays, et n’oubliant pas que la première politesse d’un voyageur en pareille circonstance est de ne jamais se plaindre, je remis le verre à mon hôte en l’invitant avec mon plus gracieux sourire à m’imiter, et en l’assurant, à l’aide de quelques mots turcs, que son breuvage était parfait. Le bonhomme fit comme moi, et trois de ses amis, venus pour passer la soirée, burent ensuite. Leur première sensation fut moins vive que la mienne ; mais un instant après, je ne pus résister à un violent accès de rire en voyant la belle série de grimaces qu’exécutèrent pendant cinq minutes toutes ces vielles têtes arméniennes dont les gros yeux, les gros nez et les énormes lèvres pendantes remuaient en tous sens de la façon la plus comique.

Je demandai la permission de me retirer. La maîtresse de la maison, ses filles et ses servantes venaient de dresser mon lit dans le salon commun ou selamlik. Je ne fus pas peu surpris en voyant le haut édifice que ces femmes avaient élevé avec force matelas, tapis et coussins. Les matelas étaient couvert de soie, les taies d’oreiller de dentelles ; ce fut à peine si j’osai monter et me coucher sur ces magnificences.

Avant de m’abandonner au sommeil, je pris en note tous les renseignements sur le pays que j’avais obtenus de mon hôte et de ses convives.

Le commerce des fruits est le plus important à Gumuch-Khané : le chiffre de leur exportation s’élève, année moyenne, à deux cent mille piastres.

Les poires, qui sont de plusieurs espèces et atteignent la grosseur de nos duchesses, s’expédient en caisses et en paniers à Trébizonde, à Constantinople et à Erzeroum. C’est aux mois de septembre et d’octobre qu’ont lieu ces expéditions, avant la maturité complète des fruits, afin qu’ils soient plus transportables.


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Fileuse arménienne.


Les pommes sont aussi fort belles et rivalisent pour la qualité avec celles d’Amasias, célèbres dans le monde des pomologistes.

Les arbres qui portent des fruits à pepins sont seuls greffés. L’art de greffer est assez avancé dans ce pays. J’ai vu dans les jardins des troncs d’où s’élançaient des branches portant chacune une sorte de fruit. Tous les fruits à noyau, pêches, cerises et abricots, qui sont délicieux et de chacun desquels on compte plusieurs espèces, viennent sur des arbres francs et à peu près sans culture.

On expédie des quantités considérables de cerises à Erzeroum, à Baïbourt et à Trébizonde. On fait sécher les prunes, les abricots, ainsi que les mûres blanches, dans des claies que l’on expose au soleil sur les terrasses des maisons. On trouve aussi dans les jardins plusieurs espèces d’amandes à coque dure et tendre. Les arbres sauvages, poiriers, pommiers et sorbiers à gros fruits, sont très nombreux dans les montagnes.

Aux environs de Gumuch-Khané on fait un petit vin qui n’est pas désagréable, mais qui se conserve mal et prend rapidement un mauvais goût dans les outres où on les transporte. Comme sur les bords de la mer, les vignes, à peu près sans culture, grimpent librement sur les arbres des vergers.

Après le commerce des fruits vient par ordre d’importance celui des poteries. On fabrique, chaque année, dans la ville, trente à quarante mille pots avec une argile grossière qu’on extrait de la montagne, ainsi que l’émail vert, rouge et jaune dont on les colore.

On tire un assez grand profit des peaux de chèvres, de chevreaux, d’agneaux et de fièvres ; ce commerce prend une extension de jour en jour plus considérable ; on envoie ces peaux par quantités énormes à Trébizonde, et de là en Europe. On trouve aussi, mais en beaucoup moins grand nombre, au bazar de Gumuch-Khané, des fourrures d’ours, de loups, de renards, de lynx, de martres, de fouines et de loutres.

L’exploitation des mines de plomb argentifère, qui