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tères, comme on en voit au Japon. Ici tout est morne, une porte ressemble à la suivante, et l’étranger ne peut trouver un repère dans ce dédale. Toutes les habitations ont un air triste qui fait peine ; comme celles de la campagne, elles sont bâties en pisé et couvertes en chaume, mais elles sont plus délabrées et plus sales. La vie, qui a déserté la rue, s’est réfugiée dans l’intérieur : là, en effet, on trouve des magasins, des ateliers et des appartements d’un aspect agréable. Les pièces réservées aux femmes sont l’objet de soins particuliers ; quelques-unes sont de véritables boudoirs : on y voit des meubles de laque, des nattes fines, des paravents ornés de peintures, des chiffons, des pots de pommade et de fard, enfin, le dirons-nous ? des faux cheveux. Rien n’y manque pour prouver que la coquetterie féminine est florissante dans la presqu’île.

Un fait qu’on ne peut s’empêcher d’admirer dans tout l’Extrême Orient, et qui ne flatte pas notre amour-propre, c’est la présence des livres dans les habitations les plus pauvres. Ceux qui ne savent pas lire sont bien rares, et encourent le mépris de leurs concitoyens. Nous aurions bien du monde à mépriser en France si l’opinion y était aussi sévère contre les illettrés.

Kang-hoa est complètement dépourvue d’industrie sérieuse. Nous vîmes bien quelques métiers à tisser le coton, mais en nombre si restreint, qu’ils devaient à peine suffire aux besoins des habitants.

Au sud de la ville, une habitation de mandarin, bâtie sur une éminence, attira mon attention par sa jolie situation et le luxe de ses appartements. La soie, les fourrures, les laques, les bronzes, les porcelaines, en un mot tous les objets si recherchés des Européens, remplissaient cette demeure, dont la richesse contrastait péniblement avec la pauvreté uniforme des chaumières du peuple. Faut-il conclure de ce contraste que le simple mortel coréen n’a guère le droit, ou du moins le pouvoir d’arriver à la fortune ? Je suis d’autant plus tenté de le croire que les récits des missionnaires confirment cette supposition, et que ce qui se passe dans l’Empire du Milieu a beaucoup de chance de se produire aussi en Corée. La rapacité est le défaut dominant des mandarins.

Une immense quantité de vases en bronze, de la plus charmante couleur et d’une sonorité incomparable, était répandue dans la ville ; les plus misérables chaumières en possédaient. Ces vases, dont certains ont de très-grandes dimensions, ont presque tous la forme de bols, et servent à une infinité d’usages. La profusion d’une matière aussi rare indique que la Corée recèle de grandes richesses minérales. Pour qu’à l’aide seulement des procédés métallurgiques très-primitifs sans doute employés par les indigènes on puisse produire une pareille quantité de métal à des conditions aussi abordables pour tout le monde, il faut que le minerai soit prodigieusement riche et abondant. Aussi paraît-il certain que, dans les relations commerciales qui s’établiront forcément un jour entre les nations européennes et le peuple de la Corée, l’exportation des métaux tiendra un grande place.

Le 18 octobre, un haut mandarin de la cour de Seoul présenta au commandant en chef une lettre du roi. Je transcris la traduction de ce document, qui ne me semble pas absolument dépourvu de bon sens, mais où le roi se fait la part un peu trop belle :

« Quiconque renie la loi divine doit mourir.

« Quiconque renie la loi de son pays mérite d’être décapité.

« Le Ciel a créé les peuples pour qu’ils obéissent à la raison.

« Les pays sont séparés par des frontières et protégés par des lois.

« À qui doit-on obéir ? À la justice, sans aucune restriction. L’homme qui la viole ne mérite point de pardon. J’en conclus qu’on doit supprimer celui qui la renie, décapiter celui qui la viole.

« De tout temps, les relations avec les voisins et l’assistance donnée aux voyageurs ont été traditionnelles. Dans notre royaume, on montre encore plus de prévenance et de bonté. Il arrive souvent que des navigateurs ignorants de la situation et du nom du pays touchent à nos côtes. Alors les mandarins de nos villes reçoivent l’ordre de les accueillir avec prévenance. On leur demande s’ils viennent avec des intentions pacifiques ; on donne des vivres à ceux qui ont faim, des vêtements à ceux qui sont nus, et on soigne les malades. Telle est la règle qui a toujours été suivie dans notre royaume, sans subir aucune infraction. Aussi la Corée, aux yeux de tout le monde, est-elle le royaume de la justice et de la civilisation. Mais, s’il se trouve des hommes qui viennent pour séduire nos sujets, s’introduisent secrètement, changent leurs vêtements et étudient notre langue, des hommes qui démoralisent notre peuple et renversent nos mœurs, alors la vieille loi du monde veut qu’on les mette à mort. Telle est la règle pour tous les royaumes, pour tous les empires. Pourquoi alors vous formalisez-vous, puisque nous l’avons toujours observée ? N’est-il pas suffisant que nous ne vous demandions pas compte des raisons qui vous ont amenés ici des pays lointains ?

« Vous vous fixez sur notre sol comme si c’était le vôtre, et en cela vous violez la raison d’une façon abominable. Quand vos bâtiments, il y a peu de temps, remontaient la rivière impériale, ils n’étaient que deux ; les hommes qui les montaient n’étaient pas plus de mille. Si nous avions voulu les détruire, n’avions-nous pas des armes ? Mais, par bonté et à cause des égards que l’on doit aux étrangers, nous n’avons pas supporté qu’on leur fît du mal ou qu’on leur montrât de l’hostilité.

« C’est ainsi qu’en franchissant nos frontières, ils prenaient ou acceptaient comme ils le désiraient des bœufs ou des poules, qu’ils allaient et venaient dans des embarcations, qu’ils furent interrogés en termes polis. On leur fit des cadeaux, sans les inquiéter d’aucune façon. Par conséquent, vous vous montrez ingrats en-