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surtout le matin. Pendant que le cantonnement s’animait et que les fumées bleuâtres montaient droites dans l’air, de beaux champs de riz, de blé, de maïs et de raves, semés de bouquets d’arbres et de hameaux, sortaient peu à peu de l’ombre. Les séparations des champs, formées de petites digues bizarrement arrondies et enchevêtrées sans ordre, faisaient ressembler la plaine aux jeux de patience des enfants et lui ôtaient cette monotonie qu’engendrent nos lignes droites. Au bout de la plaine, on voyait les murs de Kang-hoa, en partie masqués par une saillie du terrain. Enfin, des montagnes aux formes accentuées et des vallées toutes brumeuses composaient le fond du tableau d’un ton chaud et réjouissant.

Kak-Kodji est environné de tombeaux ; la colline en est presque couverte. La plupart ne sont que des tumuli sans aucun ornement, mais dans l’intérieur des petits bois de chênes et de châtaigniers on découvre souvent des sépultures plus complètes, qui couvrent des restes de mandarins ou de nobles.

Les Coréens ont, comme leurs voisins du Céleste-Empire, un profond respect pour les tombes. Ce respect du repos des morts, qui à la longue absorbe beaucoup de terrain, est doublement méritoire chez un peuple aussi cultivateur. Les travaux des champs semblent en effet très en honneur chez les Coréens. Les fermes sont nombreuses et bien aménagées. J’en vis beaucoup et elles étaient presque toutes disposées de même. Quatre corps de logis en pisé couverts de chaume comprennent une cour carrée, quelquefois entourée d’une véranda sous laquelle des instruments de travail sont à l’abri. Du côté de la porte se trouvent la meule, les instruments d’agriculture et les étables, qui contiennent des bœufs, des ânes et des porcs de race particulière. Le corps de logis du fond est réservé aux maîtres. Il est divisé en deux ou trois pièces par des cloisons de fort papier tendu sur des châssis de bois. Les fenêtres, petites et basses, sont également tendues de papier. La cuisine est située au bout de ce bâtiment ; l’âtre, de grande dimension, est muni de vastes marmites de bronze ; la fumée, au lieu de s’échapper par une cheminée verticale, s’engage dans des conduits horizontaux qui passent sous le sol en terre durcie des appartements et sort par une petite cheminée élevée à l’autre bout du bâtiment. Cette disposition, qui se retrouve dans la province du Pe-tchi-li, constitue un moyen de chauffage économique et assez efficace. Nous eûmes beaucoup à nous en louer, car dès le mois d’octobre les froids atteignirent trois degrés.

Les corps de logis des côtés renferment les récoltes, des provisions et un atelier de tissage. Souvent, une seconde cour entourée d’un mur contient de très-grands vases de faïence remplis de diverses provisions, parmi lesquelles nous signalerons particulièrement des choux et des navets ayant subi un commencement de fermentation. Les Coréens, qui, comme la plupart des peuples orientaux, se nourrissent principalement de riz cuit à l’eau, éprouvent le besoin de relever cette nourriture fade par des aliments fermentés et des condiments très-forts ; le piment est l’objet d’une grande consommation. L’huile de colza, qui se trouve en abondance dans toutes les maisons, sert aussi bien à l’éclairage qu’à la préparation des mets, ce qui ne contribue pas à rendre la cuisine coréenne fort attrayante pour des Européens.

Le 16 octobre, la ville de Kang-hoa fut prise malgré les nombreux étendards aux couleurs éclatantes qui garnissaient les murailles et étaient destinés à nous remplir de terreur. Quelques soldats se firent tuer à leur poste, mais la plupart des habitants avaient pris la fuite et aucune femme n’était restée dans la ville. Seuls les vieillards, comptant avec raison sur le prestige de leurs cheveux blancs, ou peut-être incapables de fuir, demeuraient encore dans la cité terrifiée par l’approche des barbares. Le premier aspect de Kang-hoa me surprit et me charma par son originalité ; les toits de chaume lavés par la pluie brillaient au soleil comme de l’argent et contrastaient vivement avec les tons rouges des édifices publics et les couleurs des champs et des arbres ; des montagnes arides, mais fort belles de formes, se détachaient sur le ciel bleu en tons chauds et fins, et, d’un autre côté, apparaissait l’horizon foncé de la mer.

La ville compte de quinze a vingt mille âmes. Les murs, hauts de quatre à cinq mètres, s’étendent sur une longueur de huit kilomètres. Dans l’intérieur de l’enceinte se trouve, outre la ville, une assez vaste étendue de terrain cultivé qui permettrait aux habitants de se nourrir pendant un long siège. La partie septentrionale de l’enceinte, dont le terrain a une forte inclinaison, est occupée par le yamoun du gouverneur et les édifices du gouvernement.

Le yamoun domine tout : il se compose de plusieurs bâtiments indépendants les uns des autres et séparés par de véritables jardins anglais, ornés de petits pavillons. Les constructions sont élégantes et d’un aspect fort agréable ; les toits recourbés, faits de tuiles grises vernissées, remplacent le chaume des pauvres ; les boiseries, ornées et peintes en rouge, tiennent la place du pisé et les fondations sont en belles pierres de taille ; l’intérieur est décoré de peintures et de sculptures ; des nattes d’une extrême finesse et d’un travail exquis couvrent les planchers. Les meubles sont rares et ne répondent pas à ce que l’on s’attend à trouver dans un palais ; en revanche, nous remarquâmes une abondance d’objets et de vases du plus beau bronze. La propreté était ici sinon parfaite, du moins passable.

Au-dessous du yamoun, de longs bâtiments, dont les uns sont construits en pierre et les autres en bois, servent de magasins du gouvernement. Il serait impossible d’énumérer tout ce qu’ils contenaient au moment de la prise. Outre les armes en énormes quantité, canons se chargeant par la culasse, fusils à mèche, javelots, haches, arcs, armures ; outre la poudre, les bougies qui semblent être l’objet d’un mono-