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VOYAGE A LA RECHERCHE DE LIVINGSTONE.

descendre chez M. Charlet, un Français à nez corbin et fort original, très-connu dans l’île entière pour héberger les allants et venants qui n’ont pas le sou ; homme excentrique, dont l’active bonté se manifeste sans cesse, tout en se dissimulant sous un front très-rude. Autrement j’en aurais été réduit à planter ma tente sur la grève de cette île tropicale, chose nullement a désirer.

Je parcourus la ville, continue Stanley, et rapportai de ma course une impression générale d’allées tortueuses, de maisons blanches, de rues crépies au mortier dans le quartier propre ; d’alcôves avec des retraites profondes, ayant un premier plan d”hommes, enturbannés de rouge, et un fond de piètres cotonnades : calicots blancs, calicots écrus, étoffes unies, rayées, quadrillées ; des planchers encombrés de dents énormes ; des coins obscurs remplis de coton brut, de poterie, de clous, d’outils, de marchandises communes et de tout genre, dans le quartier de Banyans. Le souvenir de têtes laineuses, avec des corps fumants, noirs ou jaunes, assis aux portes de misérables huttes, et riant, babillant, se querellant, marchandant au milieu d’un air affreusement odorant : un composé d’effluves de cuir, de goudron, de crasse, de débris végétaux et autres, etc., dans le quartier des nègres.

Je me rappelle de grandes maisons à l’air solide, aux toits plats, avec de grandes portes sculptées, et grands marteaux d’airain, et des créatures assises, les jambes croisées, guettant la sombre entrée de la maison du maître ; un bras de mer peu profond, avec des canots, des barques, des daous arabes, un étrange remorqueur a vapeur, couché dans la vase que la marée a laissée derrière elle ; une place nommée Nazi-Moya, où les Européens se traînent le soir d’un pas languissant pour respirer la brise ; quelques tombes de marins qui sont venus mourir là ; un grand logis habité par le docteur Tozer, évêque de l’Afrique centrale ; son école et mille autres choses ; — images mouvantes et confuses, où je distingue à peine les Arabes des Africains, les Africains des Banyans, les Banyans des Hindi, les Hindi des Européens, etc., etc.


Zanzibar. — Dessin de E. Riou, d’après une photographie du docteur Otto Kersten.

Commerce de Zanzibar. — Exportations, importations. — Les traitants. — Classes laborieuses. — Chiffre de la population. — Arabes, Banyans et Hindi. — Présenté au Dr Kirk. — Soirée au consulat britannique. — Entretien avec le consul. — Abattement. — Résolution.

Zanzibar est le Bagdad, l’Ispahan, le Stamboul de l’Afrique orientale ; c’est le grand marché qui attire l’ivoire et le copal, l’orseille, les peaux, les bois précieux, les esclaves de cette région ; c’est là qu’on amène, pour y être vendues au dehors, les noires beautés de l’Ouhiyou, de l’Ougindo, de l’Ougogo, de la Terre de la Lune et du pays des Gallas. Zanzibar vend, en outre, des clous de girofle, du poivre, du sésame, du cauris et de l’huile de coco. La valeur de ses exportations est estimée à quinze millions de francs ; celle de ses importations a dix-sept millions et demi.

Tout ce commerce est entre les mains de trois sortes d’individus : Arabes de Mascate, Banyans et Hindous musulmans, qui représentent la classe supérieure et la classe moyenne. C’est à eux qu’appartiennent les terres, les magasins, les navires, la fortune et l’autorité. Les classes laborieuses sont composées d’Africains, esclaves ou hommes libres. Elles forment probablement les deux tiers de la population, qu’on peut évaluer à deux cent mille âmes, dont près de la moitié habitent la ville.

Les Arabes voyagent presque tous ; ce sont eux qui vont à la recherche de l’ivoire. On-ferait, avec leurs aventures, de gros volumes de récits palpitants, et ils doivent aux obstacles vaincus, aux périls surmontés, un air de résolution et de confiance en eux-mêmes qui n’est pas dépourvu de grandeur.

Le Banyan est trafiquant de naissance ; c”est le bénef incarné ; l’argent afflue dans ses poches aussi naturellement que l’eau suit une pente rapide ; il surpasse le juif et n’a de rival que le Parsi ; auprès de lui l’Arabe n’est qu’un enfant.

Je ne suis pas sur néanmoins qu’en fait de ruse et de rapacité maligne, il ne soit pas égalé par l’Hindi.