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sirs de l’enfance pour commencer la rude école de la vie pratique et se mettre en état de faire honorablement leur chemin dans le monde.

L’apprentissage d’une profession manuelle équivaut à un servage de dix années. Le patron, pendant ce temps, donne le logement, les vêtements et la nourriture, mais jamais le moindre salaire, si ce n’est pourtant vers la fin, quand l’apprenti est devenu ouvrier, l’argent de poche dont il a besoin pour se procurer du tabac. Néanmoins, l’instruction professionnelle ne souffre pas de cet état de choses. Le patron même est intéressé à ce qu’elle soit aussi complète que possible, car c’est lui qui présente à la tribu dont il est membre l’ouvrier qui sollicite la maîtrise. Seulement, comme on vient de le voir, celui-ci ne peut guère la postuler qu’à l’âge de vingt-cinq ans révolus. Aussitôt qu’il l’a obtenue, son maître lui donne la liberté et, à titre de gratification, l’outillage nécessaire pour monter un modeste atelier. Le mariage ne tarde pas à embellir de sa douce consécration le nouvel établissement.

Il arrive d’ailleurs assez fréquemment que l’ouvrier se marie avant de s’être établi, mais c’est lorsque les circonstances économiques de ses parents lui permettent de placer sa femme sous leur toit et à leur table, en attendant qu’il puisse lui-même tenir ménage.


Présentation au temple. — Dessin de L. Crépon d’après une peinture japonaise.

Dans toutes les familles japonaises, la mort est l’occasion d’une série de solennités domestiques plus ou moins somptueuses, selon le rang du défunt, mais en tout cas fort à charge aux parents les plus rapprochés. Ils ont d’abord à supporter les frais des cérémonies religieuses qui sont du domaine des bonzes : il faut payer les derniers sacrements ; les veilles et les prières qui se sont faites sans interruption dans la maison mortuaire jusqu’au moment des funérailles ; le service à domicile qui a précédé le départ du convoi ; la messe funèbre célébrée au temple, et toutes les fournitures relatives à l’inhumation ou à l’incinération du cadavre, telles que cercueil, draperies, cierges, fleurs, combustible, urne, tombeau, collations et offrandes données à la bonzerie. Ensuite vient le tour des coulies qui ont lavé le corps, et de ceux qui ont porté le cercueil, et des valets du couvent chargés du gros ouvrage dans l’enceinte du cimetière. Mais ce n’est pas tout, car un pieux usage impose aux gens d’une certaine condition l’obligation d’installer à la porte de leur maison, la veille de la cérémonie funèbre, un domestique chargé de distribuer des aumônes en petite monnaie à tous les pauvres indistinctement qui viennent réclamer cette faveur. En outre, au retour du cortége, les personnes qui en font partie croiraient manquer aux plus simples égards, si elles ne prenaient congé du chef de la famille affligée, en consommant la collation que celui-ci croit devoir leur offrir, comme témoignage de sa gratitude.

Quoi qu’il en soit de toutes ces dépenses, il faut chercher ailleurs la cause de l’impatience à peine dissimulée, avec laquelle les Japonais s’acquittent envers leurs proches de l’accomplissement des derniers devoirs. La vérité est que tout aguerris qu’ils sont à la vue du sang, aux scènes d’homicide, ils ne peuvent surmonter, même à l’égard des membres de leur propre famille, l’instinctive répugnance, la naïve et profonde horreur que leur cause la présence ou le seul voisinage d’un cadavre, lorsqu’il s’agit de simples cas de décès.

Il y a cependant de nobles exceptions. L’on trouve parmi les femmes japonaises des épouses et des mères qui, maîtrisant toute crainte superstitieuse, savent prouver à leur manière que l’amour est plus fort que la mort. Tandis que les hommes de la maison croient s’être acquittés de leur tâche en appelant les bonzes pour faire des prières, et d’autre part un barbier accompagné de deux ou trois coulies pour procéder à la dernière toilette du défunt ; tandis qu’ils se retirent dans une pièce éloignée de la chambre mortuaire, pour passer leur temps de reclusion à boire et à fumer, la mère de famille reste jusqu’à la fin la fidèle compagne ou la tendre protectrice de l’époux ou du fils dont il ne lui reste plus que le corps inanimé. C’est elle qui, dans les premières heures du deuil, reçoit les visites de condoléances des gens du voisinage et de la parenté. Humblement prosternée sur des nattes tournées à l’envers, au pied d’un paravent également renversé, qui