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premier rang. Indépendamment de leurs ablutions matinales, chaque jour, ou peu s’en faut, les Japonais de tout âge et des deux sexes prennent un bain d’eau chaude. Ils aiment que la température en soit élevée, c’est-à-dire plutôt au-dessus qu’au-dessous de cinquante degrés centigrades. Ils restent quinze à trente minutes dans l’eau, tantôt s’y plongeant jusqu’aux épaules, tantôt n’en ayant que jusqu’à la ceinture, selon qu’ils se tiennent couchés ou accroupis ; et pendant tout ce temps, ils évitent avec le plus grand soin de se mouiller la tête. Il n’est pas rare que des congestions au cerveau et même des coups de sang ne soient la conséquence de cette accumulation d’habitudes déraisonnables.

Une coutume passée à l’état de besoin journalier et pratiquée par l’universalité d’une énorme population, ne saurait évidemment se renfermer dans le secret du huis clos. Il s’est donc établi au Japon une sorte de convention tacite, d’après laquelle le bain rentre dans la catégorie des actions que l’on peut appeler indifférentes, au point de vue de la morale publique, ni plus ni moins que le repos, la promenade, le sommeil, le manger et le boire.


Entrée de jardins à Myaski (Yédo). — Dessin de Lancelot d’après une photographie.

Comme les gens des classes supérieures de la société jouissent de dortoirs et de salles à manger, chaque maison de la noblesse ou de la haute bourgeoisie possède aussi une ou deux salles de bains réservées à l’usage domestique ; et même il n’est pas de petit ménage bourgeois qui n’ait quelque modeste réduit où se trouve une baignoire munie de son appareil de chauffage. Quand le bain est prêt, la famille entière en profite successivement : en premier lieu le père, puis la mère, puis les enfants, et toute la maisonnée, y compris les domestiques. Cependant il est rare que l’on utilise la baignoire commune, parce que les frais de combustible qu’exigerait son emploi plus ou moins habituel dépasseraient de beaucoup la dépense d’un abonnement de famille à un établissement de bains publics. Aussi le gros de la population ne fait-il régulièrement usage que de ceux-ci. On en trouve dans toutes les rues d’une certaine importance, et partout ils attirent une telle affluence de baigneurs, surtout pendant les dernières heures du jour, que les tenanciers ont dû, pour ne renvoyer personne, faire entrer tout le monde, pêle-mêle, dans les mêmes réservoirs. Il y en a toujours au moins deux, séparés par une cloison basse ou par un pont de planches, et suffisamment spacieux pour recevoir douze à vingt baigneurs à la fois. Généralement les femmes et les enfants se groupent d’un côté, et les hommes de l’autre ; mais c’est sans préjudice du principe supérieur qui veut que tout nouveau venu s’installe où il trouve place, quels que