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Au bout d’une heure de marche environ, nous étions au bord d’une large et belle rivière, limite des deux tribus ennemies. À ce moment la mer était basse, et sur un large banc de sable asséché au milieu du cours d’eau une lutte acharnée était déjà engagée entre les deux partis, mais notre arrivée subite décida complétement de son issue. Les Ponérihouens, avertis de notre arrivée par les clameurs de leurs nombreux compatriotes qui nous apercevaient de la rive opposée, se retirèrent, quoique avec assez de lenteur, devant nos redoutables carabines.

Mon intention n’était certes pas de devenir acteur dans cette lutte, à moins qu’une agression directe ne m’y engageât ; pour ne pas la provoquer, je m’écartai du bord de la rivière avec mes hommes, et j’allai me placer sur un rocher élevé, du haut duquel on dominait parfaitement les lieux environnants.

La scène avait quelque chose de vraiment bizarre ; nus ou ceints d’étoffes aux mille couleurs voyantes, les guerriers brandissaient leurs armes tout en bondissant, hurlant, injuriant leurs adversaires. Les vieillards au corps amaigri, dont la main ne pouvait lancer la pierre ou la zagaie, ne restaient pas oisifs pour cela : assis sur les pointes élevées des rochers de la grève, leur voix ne cessait d’animer le courage de leurs jeunes gens, et de prodiguer l’insulte à leurs ennemis ;
Jeunes Néo-Calédoníens. — Dessin d’Émile Bayard d’après une photographie de M. E. de Greslan.
lorsqu’une pierre aiguë passait en sifflant auprès de leur tête, ils ne daignaient pas s’incliner, mais leur voix plus vibrante, leur parole plus rapide redoublaient de sarcasmes. Écoutez, me dit l’interprète, voici ce qu’ils disent :

« Vous avez raison d’être venus maintenant, c’est une grande fête chez nous et vous nous manquiez ; mais vous voilà, et nos jeunes guerriers vont vous saisir, et votre chair va compléter notre festin aujourd’hui. »

Les gens de Ponérihouen, dont les paroles arrivaient distinctement jusqu’à nous, répliquaient :

« Vous n’êtes que les chiens de ceux qui portent la foudre ; trop lâches pour vous défendre contre nous, vous avez appelé les blancs à votre secours ; dites-leur de s’éloigner, et nous vous verrons fuir comme la poussière qu’emporte le vent. »

À ce reproche, un peu mérité, les gens de Houindo ne savaient trop que répondre, lorsqu’un jeune chef, appelant autour de lui ses guerriers, s’élança le premier dans la rivière. En quelques brasses, devançant la petite troupe qui s’était précipitée sur ses pas, il atteignit le banc de sable ; au même moment, un nombre à peu près égal des gens de Ponérihouen abordait aussi. Le banc avait cinquante mètres environ dans sa plus grande largeur ; ces ennemis acharnés étaient donc face à face. Trop près de nos alliés