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Hondjo, où l’on s’approche du lieu sacré sous les auspices d’une demi-douzaine de statues de porcs, noblement installés sur des socles de granit. L’opinion publique paraît admettre sans difficulté, et par convention tacite, tout ce qui plaît aux bonzes d’imaginer pour ajouter n’importe quel nouvel attrait à l’exercice de la dévotion.

Un certain nombre de familles de la vieille noblesse se sont fait du Hondjo une sorte de faubourg Saint-Germain, où elles vivent dans une profonde retraite, loin des bruits de la ville et à l’abri de tout contact avec le monde de la cour et les fonctionnaires du gouvernement. Là, les murailles du Castel n’obsèdent plus les regards du fier daïmio. Du haut des ponts cintrés jetés à l’embouchure des canaux qui aboutissent à l’O-Gawa, tels que le Yatzomé-Bassi, par exemple, d’où l’on ne découvre pas moins de huit ponts aux premiers plans de l’immense tableau de la capitale, les grandes allées d’arbres de la forteresse apparaissent au delà des innombrables toitures de la cité marchande, comme les paisibles ombrages d’un parc lointain, qui se confond avec les terrasses de la base du Fousi-Yama.

D’après les calculs de M. Lindau, le Hondjo et Fouka-Gawa réunis ont une circonférence de treize à quatorze kilomètres et une superficie de douze kilomètres carrés, dont trois sont occupés par des rivières et des jardins, cinq par des résidences de daïmios, un et demi par des temples, un et demi par des fortifications et des chantiers du gouvernement, et un seul, enfin, par des demeures bourgeoises.


Statue du temple des Cinq-Cents-Génies.

On remarque, parmi ces dernières, d’importantes fabriques d’étoffes de soie, d’ustensiles en porcelaine, d’objets de ménage, d’ameublement et de toilettes en bois laqué, ainsi que de grands ateliers de sculpture, de menuiserie et d’ébénisterie.

Je n’ai vu nulle part travailler le marbre, bien qu’il en existe des carrières dans les montagnes de l’intérieur. On taille des piliers de toris en granit, des candélabres de lieux saints, des tombeaux, des statuettes et des pierres tumulaires, ainsi que des bouddhas, des tortues et des renards sacrés, en grès d’une fort belle espèce. Les sculpteurs en bois font des autels domestiques à riches panneaux, des châsses élégantes et des cercueils en forme de mikôsis, des têtes d’éléphants et des chimères monstrueuses pour orner des toitures de temples, des boiseries et des mosaïques représentant des grues, des oies, des chauves-souris, des animaux mythologiques, la lune à demi voilée par un nuage, des branches de cèdres, de pins, de bambous et de palmiers. Les idoles, parfois gigantesques, qui sortent des ateliers de Yédo, sont le plus souvent entourées d’une auréole dorée et peintes en couleurs très-vives les gardiens du ciel, par exemple, au vermillon, et Tengou à l’indigo ; les renards sont blancs, ou bruns, dorés ; un attribut qu’on leur donne volontiers est une clef d’or qu’ils portent à la gueule.

Plusieurs industries intéressantes se rattachent à celle des sculpteurs ébénistes. Les cadres de cloisons mobiles et de paravents doivent être garnis de grands dessins à l’encre de Chine, tracés en quelques coups de pinceau, ou de groupes d’arbres et de fleurs au brillant coloris, ou enfin de peintures d’oiseaux réputés pour la richesse de leur plumage. Tout cela se fait en fabrique, mais à la main. L’on n’imprime que les papiers destinés à tapisser des murs ou des boiseries. Les brodeuses fournissent pour les châssis faisant l’office de stores ou d’écrans de merveilleux ouvrages, où la soie, asservie au patient travail de l’aiguille, reproduit tour à tour, selon le choix des sujets, le tissu lustré des feuilles, le duvet velouté des oiseaux, la pelisse touffue des quadrupèdes et les écailles éclatantes des poissons. Enfin les tresseuses de soie ajoutent au luxe des boiseries et des tentures de salon une savante ornementation de guirlandes et de nœuds de diverses couleurs, surmontés d’autres ouvrages en soie imitant, à ravir, des groupes de fleurs et d’oiseaux.

Ce n’est pas chose facile que de pénétrer dans les ateliers japonais, surtout sous la surveillance d’une escouade de yakouines. Malgré les promesses de leurs chefs, je n’ai pu voir ni teinturerie, ni manufacture de riches étoffes de soie, ni fabrique de papier. En revanche, j’ai toujours trouvé les magasins de vente en gros ou en détail accessibles jusqu’à l’arrière-boutique, y comprise ; et il ne faut pas dédaigner d’y pénétrer, car le marchand japonais ne sacrifie point à la montre : loin de faire étalage de ce qu’il a de plus beau, il aime à le tenir en réserve comme s’il voulait laisser aux amateurs tout le charme de la découverte. Ainsi pour se faire une idée, je ne dirai pas complète mais approximative, de la richesse, de la variété et du mérite artistique de l’industrie japonaise, il est nécessaire non-seulement de parcourir les rues marchandes