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du territoire qu’il avait gouverné ; localités consacrées par l’affection connue que Waton leur avait portée, par quelque trait remarquable de son existence, ou se rattachant par quelque légende aux traditions ou au culte de sa race.

Le 13, à neuf heures du matin, une foule nombreuse suivit le corps du chef au lieu de sa sépulture ; en tête marchait Anté-Eugène, son fils et son successeur, à côté d’un officier français ; le chef de Païta venait ensuite avec les parents du défunt ; puis les vieillards et enfin les simples sujets complétaient le cortége au milieu duquel la curiosité avait amené la plupart des colons européens des environs.

Nous avons reproduit page 59 le banian séculaire à l’ombre duquel doivent se consumer les restes mortels du vieux chef, auprès de ceux de ses ancêtres et de son fils Matamoé, l’honneur de sa race. Là, comme aux moraïs des îles de la Société et de Tonga, viennent affluer les offrandes funéraires des amis et des parents. L’un suspend aux branches de l’arbre une étoffe choisie, l’autre dresse contre l’arbre funèbre une énorme charge d’ignames et de cannes à sucre ; un guerrier viendra déposer une zagaie irréprochable ou un lourd tomahawk, etc.

Ces coutumes sont d’autant plus curieuses qu’elles sont particulières à plusieurs peuples et montrent que, de même que les hommes sont égaux devant la mort, ils ont été partout, en présence de ses victimes, animés des mêmes pensées et poussés aux mêmes actes.

Le chef de Païta, Jacques Quoindo, l’ami de Waton, prononça près de son corps un discours fréquemment interrompu par les signes d’approbation et d’assentiment
Station du capitaine Henry à Poébo. — Dessin de E. Dardoize d’après une photographie de M. E. de Greslan.
de la foule. Il vanta la prudence et la sagesse de celui qui avait été son ami et son collègue, et rappela aussi son courage et son adresse dans le combat.

Ainsi finit Waton ; dans sa cinquantième année, à ce qu’on croit ; mais tous les Kanaks ignorant eux-mêmes leur âge, il est difficile à un Européen de le désigner d’une façon même approximative. Nous nous accordons à dire que les Kanaks vivent moins longtemps que nous et je les ai entendus professer l’opinion toute contraire. D’eux ou de nous, qui a raison ?

Waton était petit, mais bien pris dans sa taille ; sa physionomie était intelligente, d’une douceur relative, mais très-astucieuse ; d’une expression basse plutôt que digne ; en un mot, c’était un de ces hommes des époques de transition, qui trouvent plus commode et plus sage de céder que de résister au torrent. En âme et conscience toutefois, il a dû mériter l’épithète du « plus fidèle allié de la France » que lui ont décernée les organes officiels de la colonie.

Qu’on me permette de terminer par quelques mots de statistique.

Au moment de mon départ, l’île nourrissait plus de trois mille moutons, cinq cents chevaux de race anglaise et six mille bêtes à cornes. Outre les terres cultivées en céréales, on comptait soixante hectares plantés en cannes à sucre, treize en caféiers et six cent quarante en légumes et jardinage.

J. Garnier.