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Le niaouli (melaleuca viridiflora) se rencontre dans toute la Nouvelle-Calédonie. Il abonde dans toutes les plaines et se montre souvent sur les collines et parfois sur les flancs des hautes montagnes. Dans les plaines, il forme très-rarement des bosquets serrés, de telle sorte que, d’habitude, il n’est pas d’un grand obstacle au défrichement. Du reste le colon a toujours besoin de bois pour construire sa maison et ses barrières, et le niaouli est encore assez abondant pour suffire à cet usage. Comme toutes les essences dominantes, le niaouli tue sans pitié tous les autres arbres qui, dans la plaine, essayeraient de croître dans son voisinage ; quant à lui, en certaines saisons, ses rejetons sortent du sol de toutes parts, mais le feu qui visite toujours périodiquement les prairies, s’oppose au développement de ces jeunes pousses et ne laisse, comme dans un parc, que des groupes espacés.

Le tronc du niaouli est ordinairement courbé et tordu de façon à former parfaitement une véritable spire. Quelquefois cependant il est droit et ses fibres sont rectilignes ; dans le premier cas, on peut l’employer pour faire des courbes de navires, des travaux d’ébénisterie, de charronnage, etc. ; dans le second, il sert aux travaux de charpente.

Le bois du niaouli est excellent pour les pilotis et autres constructions immergées ; il se conserve fort longtemps sous l’eau sans se pourrir.

Le tronc de cet arbre est recouvert d’une écorce blanche formée d’une grande quantité de feuilles minces et transparentes superposées. Le tout est parfaitement imperméable et, comme cette écorce peut s’enlever facilement et par grandes plaques, elle est très-précieuse pour recouvrir les maisons et en tapisser les parois intérieures, car elle est imprégnée d’une substance résineuse qui la rend imperméable à l’eau et lui donne encore l’utile avantage de pouvoir former d’excellentes torches qui éclairent toujours pendant la nuit la marche des naturels. Les Européens ont aussi essayé d’utiliser cette écorce pour la fabrication du papier ; j’ai vu des lettres écrites à l’encre sur une feuille faite de cette matière et aussi mince que le papier pelure d’oignon.

En distillant les feuilles du melaleuca, on obtient une huile volatile qui paraît identique à l’huile de cachepu que la médecine emploie. J’ai suivi des expériences faites à cet égard par mon excellent ami M. Bavay, pharmacien de la marine. Elles lui ont démontré que les feuilles de cet arbre abandonnaient facilement un pour cent en poids d’huile et que la fabrication en grand coûterait au plus deux ou trois francs le kilogramme. Il serait certainement très-intéressant d’examiner si cette huile peut s’employer comme celle de cachepu, dont le prix est très-élevé.

En concordance avec une loi assez ordinaire de la création, le melaleuca viridiflora cache ses bonnes qualités et ses vertus sous l’aspect le plus triste et le plus malheureux. Son tronc tordu paraît de loin d’un blanc sale et comme déguenillé. Ses branches sont rares et sans symétrie. Ses feuilles, presque microscopiques, sont d’un vert sombre. Ses fleurs ont une odeur repoussante. Enfin, le seul animal que l’on voie quelquefois se poser sur ses branches, est le hideux vampire qui s’y abat en troupe à l’époque de la graine dont il se nourrit. — Il est en Europe un arbre qui, par son aspect, a quelque analogie avec le melaleuca : c’est aussi un arbre bien utile, l’olivier.

Les plus mauvais terrains de la Nouvelle-Calédonie produisaient autrefois un végétal encore plus précieux, le santal, que je n’ai jamais trouvé dans mes nombreuses excursions qu’à l’état de jeunes rejetons, poussant sur les souches de leurs ancêtres. Une exploitation aveugle, excitée par les hauts prix qu’on obtenait de ce bois sur les marchés en Chine, où on l’emploie comme parfum, en a dépeuplé les forêts de l’île. Depuis quarante ans au moins les Anglais, connaissant l’abondance de ce bois précieux en Calédonie, y venaient faire de nombreux chargements. En échange, ils donnaient aux naturels des pipes, du tabac, des étoffes, voire même des fusils et des munitions, objets dont les chefs sont toujours si avides ; aussi ces derniers, peu soucieux de l’avenir, envoyaient-ils les hommes de leur tribu chercher sur tout leur territoire les bois de santal qu’on y pouvait trouver, les faisaient conduire au rivage, et pour un fusil à deux coups on en complétait la charge d’un navire. C’est ainsi que lors de la prise de possession tous les arbres de santal avaient été coupés Aujourd’hui on exploite les souches qu’alors on ne prenait pas la peine d’arracher. À Port-de-France, le santal débarrassé de son aubier se vend deux francs le kilogramme.

Malgré la rareté relative de ce bois dans notre colonie, le gouverneur donna, peu avant mon départ, à un colon anglais, le capitaine Henry, le monopole de l’exploitation de ce bois sur une grande étendue du territoire du nord-est de l’île.

En présence d’un prix si élevé, on entrevoit de suite la possibilité d’une spéculation des plus productives, surtout lorsqu’on sait que le santal croît avec la plus grande facilité ; qu’on le rencontre même le plus ordinairement non loin des rivages de la mer sur des hauteurs un peu arides et pierreuses, là où l’on saurait à peine tirer partie du terrain comme lieu de pâture et encore moins comme lieu de culture. Si l’on ajoute à ces premiers avantages que la rapidité de croissance de cet arbre est analogue à celle du chêne ordinaire de France, on verra bientôt qu’un semis de santal vaudrait la peine d’être entrepris par les colons. Il leur faudrait attendre de vingt à trente ans une première coupe, mais chaque pied qui leur aurait coûté une somme insignifiante dans un terrain à peu près inutile, pourrait leur rapporter après ce laps de temps au moins un poids de cinquante kilogrammes de bon santal qui doit valoir certainement en Chine plus de deux francs le kilogramme.

Le santal vit très-bien en famille : son développement s’augmenterait aussi par les soins que l’on pour-