Le pittoresque factice et le pittoresque réel se marient là avec un bonheur inouï : figurez-vous tout notre joli décor du bois de Boulogne transporté dans quelque beau site de la Savoie.
Ce lieu, je le répète, est un paradis ; mais les pieds m’y brûlent après trois jours : je suis si près du Cachemir ! Je ne prends que le temps de faire les préparatifs les plus indispensables, et je me procure une passe pour Srinagar, capitale de la principauté. Pourquoi une passe, me demandera-t-on, dans un pays aussi libre que l’Inde anglaise ? C’est que Cachemir n’est pas Inde anglaise ; c’est que ce pays, pour son
Bas-relief du musée de Peshawer (voy. p. 198). — Dessin de Petot d’après une photographie.
malheur, est « libre », en ce sens qu’il obéit à un
prince indigène qui est bien, je l’ai dit, le brigand le
plus réussi de l’Orient. Le maharadjah n’entend pas
que les Européens viennent voir de trop près ce qui se
passe chez lui, et il est convenu avec le gouvernement
anglais, m’a-t-on dit, d’un chiffre maximum pour le
nombre de visiteurs que chaque été lui amène : de là
nécessité d’une passe personnelle. Ces institutions sont
absurdes, car la « saison des Anglais » est la providence
du pauvre peuple cachemirien, pour qui cette
Bas-relief du musée de Peshawer. — Dessin de Petot d’après une photographie.
saison se résume en pluie de roupies. Quant vient l’automne,
il faut que tous les chasseurs et touristes angrezi
aient levé le pied, sans excepter le résident anglais,
M. Cooper, et les Français correspondants des
négociants en cachemires de la rue Richelieu : ces
derniers se retirent à Amritsir.
La raison de cette mesure est toute simple : c’est l’hiver que le gouvernement du maharadjah lève les impôts, opération toujours dure en Orient, et qui à Cachemir ressemble admirablement aux dragonnades de Louis XIV. Les dragonnades sont un des ingrédients naturels de la vie orientale, mais les Européens, qui