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garantie à l’ouest contre les flots du large par trois grands îlots qui la protégent ; les navires peuvent entrer et sortir presque par tous les vents, car il y a une passe à l’ouest-nord-ouest et une autre au sud-sud-ouest.

Au milieu de la baie sont plusieurs îlots fertiles, entre autres celui de Parseval, qui communique avec la terre à la marée basse et possède plusieurs mouillages bord-à-quai, avantage qui manque ordinairement sur les autres points de cette côte. Il eût donc été facile, dès le principe, de venir décharger là les bâtiments. Cette observation répond aux objections que l’on a toujours faites contre la baie de Saint-Vincent, comme emplacement de ville.

Il est vrai que, suivant la règle générale en Nouvelle-Calédonie, dans les pays de plaine les bords de la mer sont presque partout encombrés de palétuviers (rhizophora mangle ? Linné). Cet arbre pousse sur le bord de la mer, le tronc en est maintenu en l’air par de nombreuses racines très-minces qui s’élancent en divergeant de toutes parts, et s’enfoncent dans la mer où elles forment sur les rivages une barrière impénétrable. Mais un des grands avantages de cet arbre, c’est que ses racines retiennent au milieu d’elles tous les débris qui y sont apportés par le temps ; le niveau du sol s’élève alors peu à peu, et lorsqu’il arrive à dépasser celui de la mer, le palétuvier s’étiole, disparaît et fait place à une végétation différente. Souvent aussi alors le palétuvier s’avance dans les eaux de la mer, agrandissant ainsi les rivages de l’île. C’est ainsi que plusieurs îlots ou pâtés de coraux qui se trouvaient assez loin du rivage y ont été réunis à la longue. La marche de ces palétuviers est assez rapide pour que j’aie pu constater ce fait d’un mois à un autre.


Vue de la ferme modèle d’Yahoué. — Dessin de E. Dardoize, d’après une photographie de M. E. de Greslan.

Les marais de palétuviers sont le séjour de nombreuses bandes de canards sauvages. On y pénètre quelquefois en marchant sur les racines qui s’élèvent en cerceaux au-dessus du niveau de l’eau (voy. p. 29) et l’on traverse ainsi parfois de grands espaces inondés. Dans le nord, à Gatop par exemple, ces racines de palétuviers sont recouvertes d’une multitude d’huîtres de la grosseur de celles d’Ostende ; en coupant à la hache une racine, on peut se procurer quelques centaines d’excellentes huîtres.

Le bois de cet arbre sert au chauffage. Il contient beaucoup de tan que l’industrie pourrait utiliser. Enfin ses fruits sont comestibles, quoique bien peu savoureux. Tous les points où cet arbre est absent sont plus que suffisants pour l’abordage ordinaire.

Les îles Ducos et Hugon qui ferment, ainsi que je l’ai dit, la rade de Saint-Vincent, sont en ce moment le théâtre d’une excellente exploitation. Des colons ont loué au gouvernement ces îles couvertes de bons pâturages et possédant des sources d’eau douce. M. G. Martin, un de ces colons, a placé il y a quelques années sur l’île Ducos quatre cents brebis ; deux ans après, sans autres gardiens qu’un Européen et deux kanaks, il y avait environ dix-huit cents têtes dans ces prairies.

Les quatre cents brebis achetées à Sydney avaient coûté, y compris le transport dans la colonie, environ douze mille francs et les dix-huit cents têtes valaient en ce moment quarante francs l’une, c’est-à-dire soixante douze mille francs. Les frais de surveillance montaient environ à dix mille francs. Il restait un bénéfice de cinquante mille francs.

Le mouton vient très-bien sur ces îlots où l’air toujours frais de la mer chasse les mouches et les insectes qui, dans les pays chauds, s’introduisent dans la laine de ces animaux ; de plus, ces points sont suffisamment rocheux pour que le mouton, usant facilement la corne