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L’Indus. — Dessin de H. Clerget d’après un croquis de M. G. Lejean.


LE PANDJAB ET LE CACHEMIR[1],


PAR M. GUILLAUME LEJEAN.


1866. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


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Je m’étais rendu dans l’Inde il y a deux ans, avec l’intention de chercher derrière l’Himalaya, au nord ou à l’ouest, la solution de certains problèmes d’ethnographie et d’histoire qui promettent de beaux triomphes à quiconque pourra en résoudre la plus mince parcelle. Averti par l’expérience des voyages, j’avais sagement prévu le cas ou des contre-temps imprévus m’empêcheraient de franchir l’Himalaya et où des études faites dans l’ancienne Indo-Scythie me dédommageraient en bonne partie des résultats primitivement espérés. C’est juste ce qui m’arriva. Je tombai dans le nord de l’Inde en face de quatre guerres sérieuses : la Russie battait les Bokhares, ce qui surexcitait le fanatisme de tout le Turkestan ; dans la Tartarie chinoise, les musulmans insurgés et cœlestial Johnny (petit nom anglais des fils de l’Empire-Céleste) se massacraient avec un entrain qui eût inquiété le Juif-Errant lui-même ; le tiers du Cachemir était insurgé contre son tyran, et l’Afghanistan était déchiré par les querelles des fils du vieux Dost Mohammed, récemment décédé. Dans le doute si je pourrais mener mes projets à bonne fin, je ne négligeai pas l’étude des pays que je traversais, le Pandjâb, l’Afghanistan britannique, le Cachemir, et bien je m’en trouvai. Ce sont mes excursions dans ces contrées que je vais raconter au fil de la plume à mes lecteurs.

La forme purement narrative est celle que j’ai toujours préférée : mais en lisant les notes écrites durant les loisirs, quelquefois assez longs, de mes pérégrinations, je trouve que si la préoccupation littéraire y manque parfois, elles offrent en revanche une image plus vive, plus nette, plus fidèle de mes impressions au jour le jour. Comme je suppose que le lecteur ne sera pas trop fâché de saisir ces impressions sur le fait, il me permettra de remplir les lacunes de ma narration avec les extraits de mon journal. Ce mélange offrira d’abord un peu d’étrangeté, mais il présentera peut-être aussi une garantie contre la monotonie et l’apprêt, grands écueils des récits arrangés au retour, quand on a pendu au clou le sac et le bâton du pèlerin et qu’on saisit la plume docile dans des intentions malévoles à l’endroit du lecteur sans défiance, lector incautus.

Ces explications données, j’entre en matière par Kuratchee, à la bouche la plus occidentale de l’Indus, lieu où je touchai pour la première fois, avec un respect que l’on comprendra, la terre sainte d’Aryavarta, le sol auguste de l’Inde.

  1. Première partie d’une relation que M. G. Lejean désigne sous ce titre : De Cachemir à Ispahan.