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de phosphate de chaux, c’est-à-dire des matières indispensables à toute bonne végétation. La valeur d’un fumier, le titre on pourrait dire, se mesure surtout par la quantité d’azote et de phosphate qu’il renferme. Or, ce sont précisément ces matières qui sont contenues dans le guano. L’ammoniaque n’est elle-même, on le sait, qu’une combinaison d’azote et d’hydrogène. Elle forme avec les acides des sels, tels que les chlorhydrates, les phosphates, les azotates, les carbonates. Ceux-ci, comme les sels analogues de la chaux, avec lesquels ils se combinent quelquefois pour donner des sels doubles, se retrouvent principalement dans le guano. Quelle matière providentielle ! et se peut-il que les industriels et les chimistes de notre époque l’aient laissée si longtemps sans emploi[1] !

Comment s’est formé le guano ? J’attendais cette question. Mais la réponse n’est pas difficile ; car, dans ce phénomène géologique, comme dans presque tous les phénomènes du même ordre, la nature a pris soin de laisser les agents actuels fonctionner comme ceux du passé. De cette façon on peut toujours relier ce qui a été à ce qui est, et préciser d une manière positive comment les choses ont eu lieu.


Déchargement des wagons de guano. — Dessin de A. de Neuville, d’après une photographie.

Pour le guano, par exemple, nous voyons encore tous les jours les oiseaux marins, les cormorans, les pélicans, les pingouins, les fous, partir pour la chasse aux poissons. Un chef commande la bande, qui se déroule sur les eaux de manière à former un immense cercle. On environne ainsi les poissons. Alors commence la curée. Chaque oiseau pêche pour sa part, plongeant du bec et du cou, et se gorgeant à qui mieux mieux. On assiste à ce spectacle, à chaque instant, sur les eaux calmes du Pacifique. Le festin fini, la bande regagne l’île ou la côte la plus voisine, et là, sur le sol, paisiblement, chaque volatile prélude à une laborieuse digestion. Il en est qui sont si pleins qu’ils rendent quelquefois des poissons tout entiers par la bouche. D’autres s’affaissent sur place pour ne plus se relever, et laissent leurs corps se mouler dans leurs déjections. Tout cela concourt faire l’engrais le plus riche qu’on puisse voir.

L’oiseau est, comme l’homme, animal d’habitude. Chaque jour une couche nouvelle s’ajoute à la précédente, et peu à peu la stratification prend du corps. Il se forme un véritable sédiment géologique, qui a même ses fossiles, puisque nous venons de voir que des oiseaux et des poissons s’y trouvaient pris. D’aucuns prétendent même avoir rencontré dans le guano ancien le véritable homme fossile.

  1. Le guano ne paraît pas toutefois pouvoir être préféré au bon fumier d’étable, et l’on n’en doit faire l’emploi qu’avec prudence. (Note de la rédaction.)