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d’une expédition dirigée contre les naturels de Lifou, une des îles Loyalty. Peut-être un jour aurai-je à m’occuper spécialement de ce petit et intéressant archipel et de parler de cette expédition dont la cause n’était pas bien connue et qui souleva contre le chef de la colonie des reproches amers de la part d’un grand nombre de journaux en France, en Angleterre et en Australie.

La population de notre capitale s’était aussi augmentée d’un certain nombre de femmes européennes, recrues dont elle avait manqué jusqu’alors. Une frégate de la marine impériale avait apporté de jeunes orphelines, envoyées, sous la tutelle du gouvernement, à la recherche d’établissements que ne pouvait leur garantir la terre natale. Ce fut un véritable événement dans un pays où les colons étaient presque tous célibataires. Il y eut bien dans le principe quelques petites contrariétés qui rappelèrent le mot de la fable : « Deux coqs vivaient en Paix. » Mais bientôt l’ordre s’établit, et toutes ces jeunes filles trouvèrent des partis convenables.


Kanak de la mission. — Dessin de A. de Neuville d’après l’album de M. Destard[illisible], officier d’infanterie de marine.

Cet acte du gouvernement a eu les meilleurs résultats, car il a fixé au sol un grand nombre d’hommes que leur humeur vagabonde aurait éloignés de la contrée. Aujourd’hui une compagne, des enfants leur ont créé une famille, un foyer. Les liens les plus puissants leur ont refait une patrie, aux antipodes de l’autre, mais sous un ciel plus clément.

Cet envoi du gouvernement français fut suivi d’un autre, beaucoup moins bien vu par la colonie. Ce n’était plus en effet de jeunes et jolies orphelines, mais bien deux cent cinquante misérables qui venaient subir sous ce beau ciel la peine des travaux forcés que leurs crimes leur avaient méritée. Ils étaient presque tous jeunes ; ils avaient été choisis au bagne de Toulon parmi les condamnés dont la conduite était la meilleure ; mais à l’expiration de leur peine, dont la durée était d’au moins dix ans, ils devaient finir leurs jours dans le pays ; il leur était même permis de servir les colons comme domestiques. Ce système est peut-être bon ; il a, du reste, réussi ailleurs ; cependant, pour le moment, quoique le prix de location de ces travailleurs soit assez peu élevé (soixante francs par mois), les Européens répugnent à employer ces hommes et il suffit de connaître la manière de vivre des colons calédoniens pour comprendre cette répugnance. Les planteurs vivent isolés, très-éloignés les uns des autres ; le maître partage tous les travaux de ses hommes ; ils mangent tous à la même table et couchent sous le même toit. On offenserait beaucoup ces employés en leur disant qu’ils ne sont que des domestiques ; on les désigne ordinairement par le nom de stockmen, qui est presque un titre d’honneur parmi eux. Il est vrai que ces travailleurs coûtent deux cent cinquante francs par mois ; mais très-consciencieux pour la plupart, ils sont rompus à tous les travaux ordinaires de la colonisation. Quant à l’ouvrier de la transportation, on ne saurait lui confier des travaux différents de ceux que l’on peut faire exécuter par les indigènes, et l’emploi de ceux-ci, moins rétribué, n’éveille ni les mêmes préjugés, ni les mêmes craintes.

Au moment de livrer ces observations au Tour du Monde, je lis dans les journaux officiels (mai 1868) que les établissements pénitenciers de la Nouvelle-Calédonie donnent les résultats les plus satisfaisants, que le nombre des transportés dépasse aujourd’hui 1 500, et qu’un petit détachement d’infanterie (130 hommes) a été jugé suffisant pour maintenir l’ordre parmi eux et assurer la tranquillité de la colonie, où, grâce au développement des cultures, la population civile augmente aussi journellement. Espérons qu’il en sera toujours ainsi.

J. Garnier.

(La suite à la prochaine livraison.)