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« On embrasse de l’œil un massif de dômes arrondis, étagés les uns derrière les autres, dont les cimes éternellement neigeuses, tantôt brillent au soleil d’une éclatante blancheur, tantôt se perdent dans les nuages que l’imagination se plaît à prendre pour les vapeurs de leurs cratères endormis[1]. »

L’Hékla se dresse à l’extrémité orientale de ce massif. C’est un cône trachytique de mille cinq cent cinquante-sept mètres de hauteur, sur une base de trois milles et demi géographiques de circonférence, et qui doit sa renommée bien moins à ses dimensions qu’au nombre et à la violence de ses éruptions. L’histoire écrite de l’Islande en a enregistré vingt-trois, entre 1004 et 1766, séparées les unes des autres par des intervalles variant de six à soixante-six ans. Celle de 1766 fut une des plus violentes. Elle s’annonça par l’apparition
Une demi-halte devant un bœr. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.
d’une immense colonne de poussière noire montant lentement vers le ciel, avec accompagnement de tonnerres souterrains et de tous les autres symptômes qui précèdent les convulsions volcaniques. Bientôt un cercle de flammes entoura le cratère, et des masses rougies de rochers, de pierres ponces et magnétiques furent lancées, avec une effroyable violence, à d’incroyables distances, et cela en un jet si continu et si serré, que des témoins l’ont comparé à un immense essaim d’abeilles s’échappant du sein de la montagne. Un bloc de pierre ponce de six pieds de circonférence fut projeté à plus de huit lieues, et un autre, de fer
Un convoi funèbre dans la campagne. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.
natif, à plus de six. La surface de la terre fut couverte, dans un rayon de deux cent quarante kilomètres, d’une couche de cendres de quatre pouces d’épaisseur. L’air en était si obscurci, qu’en un lieu éloigné de vingt-deux myriamètres du foyer de l’éruption on ne pouvait distinguer, à quelques pas, une feuille de papier blanc d’une feuille noire. Les pêcheurs ne purent aller en mer à cause des ténèbres, et les habitants des Orcades furent saisis d’effroi et mis hors d’eux-mêmes par la chute de ce qu’ils crurent être une neige noire. Le 9 avril, la lave commença à déborder du cratère, coula pendant deux lieues dans une direction sud-ouest, et, bientôt après, comme si tous les éléments étaient tenus de jouer un rôle dans cet infernal chari-

  1. De Chancourtois et Ferri-Pisani, Mémoire cité.