Page:Le Tour du monde - 18.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir remercié cet émissaire je voulus l’interroger sur les causes de la querelle, mais je ne pus en tirer que des réponses évasives, qui ne m’apprirent absolument rien.

Après la distribution des ignames, les Kanaks font un grand repas qui dure très-longtemps, et, lorsqu’ils sont bien repus, commence la véritable fête ; c’est au milieu de la nuit, sans autres lumières que quelques torches que promène çà et là le caprice de l’un d’eux ; hommes, femmes, enfants forment une mêlée confuse, surexcités par la grande abondance de nourriture qu’ils ont absorbée. Il se produit alors chez eux une espèce d’ivresse analogue à celle qu’amèneraient chez nous les alcools ; ils ne cessent de hurler et de sauter en mesure en frappant l’une contre l’autre des écorces d’arbres recourbées. Le choc de ces écorces produit un son sourd qui se propage au loin et qui, entendu d’une certaine distance, peut se traduire par les syllabes Pelou-Pelou. C’est probablement là l’origine du nom générique donné à toutes ces danses. On écrit ordinairement Pilou-Pilou, mais beaucoup de naturels, surtout dans le nord, prononcent Pelou-Pelou.

Après les événements bizarres que je viens de raconter, la fête paraissait terminée, et du reste, ne jugeant pas prudent de séjourner plus longtemps au milieu de cette foule surexcitée, je me retirai avec ma
Habitation de l’Anglais William Young, constructeur de bateaux. — Dessin de E. Dardoize d’après une photographie de M. E. de Greslan.
petite troupe dans le campement que nous avions choisi à un kilomètre de là environ. Les présents des indigènes procurèrent à mes hommes un excellent et copieux repas. Le soleil s’était caché derrière les montagnes, la nuit était obscure et calme ; mais bientôt nous entendîmes de nouveau des hurlements et des bruits de fête qui nous annoncèrent que nos voisins avaient repris le cours de leurs divertissements. Je voulais explorer le lendemain les environs et je pris sur-le-champ le parti de retourner sur le théâtre de la solennité pour prendre congé des chefs, leur faire quelques présents et les remercier de leur bonne hospitalité. La fête avait repris son cours, je demandai à plusieurs Kanaks où était le chef que je n’apercevais pas au milieu de la foule. Cette question parut embarrasser beaucoup ceux à qui je l’adressais, et, pour ne pas y répondre, ils s’éloignaient rapidement à la faveur de l’obscurité. J’insistai ; il y avait évidemment quelque mystère au-dessous de tout cela, je voulus le pénétrer. Un jeune indigène passant en ce moment près de nous, j’ordonnai à mes hommes de l’entourer et lui fis demander par mon interprète où étaient les chefs. « Je ne sais pas, répondit-il. — Je veux que tu me conduises vers le chef de Houindo, j’ai à lui parler. » Ni mon ton ni mes manières n’admettaient de réplique ; il le comprit et jeta un regard furtif autour de lui. Nous l’entourions ; aucune issue