longs rubans d’argent que les baleines se tiennent de préférence ; c’est aussi dans ces milieux favorables qu’on peut voir dans toute leur beauté ces gerbes d’eau reflétant, avec l’aide des rayons solaires, les séduisantes couleurs de la ceinture d’Iris. Un Parisien se croirait à Versailles un jour de grandes eaux.
Après avoir vogué pendant deux jours au milieu de ces étranges compagnons de voyage, dans la soirée de la deuxième journée nous aperçûmes droit devant nous un immense dôme de neige qui semblait se balancer dans les nuages : c’était l’Orœfa-Jökull, le plus élevé des glaciers de l’Islande. Il signale de loin aux navigateurs la côte sud-est de l’île.
Nous passâmes toute la nuit à courir le long de ce littoral, au milieu d’un silence qui n’est troublé que par le bruit de la machine. La mer offre une glace invariablement unie ; on dirait qu’épuisée par les tempêtes de la veille, elle est venue sommeiller le long de ces parages silencieux. Si nous nous tournons à droite, le regard, après avoir passé sur une foule de cratères parasites, s’arrête sur les sommets neigeux de l’Hékla, tandis que nous laissons à gauche les îles Westmann, dont le nom (hommes de l’ouest) rappelle le meurtre qui, dit-on, inaugura la colonisation de l’Islande par les Norvégiens.
Obligés de s’expatrier pour éviter les conséquences d’un crime commis en commun, deux Norvégiens de haute race, Leifr et Ingolf, qui avaient entendu parler de cette terre, pensèrent qu’aucun pays ne saurait leur procurer un asile plus sûr et résolurent de s’y retirer : ceci se passait en 874.
Une rue de Reykjavik : Enterrement de la femme d’un sysselman. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.
Partis de Norvége avec un nombreux équipage et tous les éléments nécessaires pour fonder une colonie durable, ils relâchèrent aux Fœroë pour visiter quelques amis, puis ils mirent le cap vers le nord-ouest.
Après deux jours de route, ils lâchèrent un des trois corbeaux préalablement consacrés aux dieux et qui, dans ces temps primitifs, tenaient lieu de boussole. L’oiseau sacré, après s’être élevé à une certaine hauteur, prit la direction sud-est et regagna le Fœroë. Les navigateurs comprirent qu’ils n’étaient pas encore assez éloignés des terres qu’ils venaient de quitter et attendirent deux jours encore pour lâcher le deuxième corbeau, qui plana quelques instants dans les nuages et redescendit ensuite sur le bateau. Enfin, le lendemain on renouvela l’expérience, et cette fois, l’oiseau sacré, après s’être élevé dans les airs, prit résolûment la direction du nord. Leifr et Ingolf le suivirent.
Arrivé près des côtes, Leifr, séduit par le riant aspect des îles Westmann, résolut de s’y fixer ; quant au pieux Ingolf, qui n’agissait que d’après la volonté des dieux, il jeta à la mer les bois sacrés du fauteuil patriarcal, les pénates selon la mythologie scandinave, en faisant vœu de débarquer la où les flots les conduiraient. — L’histoire le fait débarquer à l’emplacement qu’occupe aujourd’hui Reykjavik.
Après s’être installé, Ingolf, étant allé visiter son compagnon, ne trouva que son cadavre : il avait été assassiné par ses esclaves. Immédiatement il les fit mettre tous à mort et resta ainsi sans partage chef de la colonie.